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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
4 juin 2007

DETAXATION COUTEUSE ET ALEATOIRE

La France ne parvient pas à mobiliser efficacement ses ressources en main-d'oeuvre. Pas assez de gens travaillent et beaucoup de ceux qui ont un emploi travaillent peu. Or, le revenu d'un pays dépend de la quantité de travail qu'il est capable de mobiliser. Pour aller à l'essentiel : les Français gagnent 30 % de moins que les Américains, car ils travaillent 30 % de moins.

Gagner moins ne signifie pas forcément être moins heureux. Selon un sondage CSA réalisé en décembre 2006, beaucoup de Français affichent une préférence pour le loisir : ils sont 57 % à préférer " gagner moins d'argent mais avoir plus de temps libre ". Mais le même sondage indique aussi que 40 % des personnes interrogées préféreraient " gagner plus d'argent mais avoir moins de temps libre ". Le défi que doit relever notre législation du temps de travail est de pouvoir s'adapter à cette diversité.

Depuis plus de trente ans notre pays a vécu sur le mythe du " partage du travail " qui a profondément imprégné notre législation. On dispose aujourd'hui d'un recul suffisant et de nombreuses études ont pu évaluer les conséquences de la réduction du temps de travail. Les conclusions vont toutes dans le même sens : la réduction du temps de travail ne crée pas d'emploi. Elle bride donc l'activité. Si les lois Aubry ont effectivement créé des emplois, c'est grâce aux allégements de charges qui ont permis de maîtriser le coût du travail et aux aménagements de l'organisation du travail. L'impact de la seule réduction du temps de travail sur le nombre d'emplois créés a été, au mieux, très marginal.

Pour permettre à ceux qui désirent gagner plus de travailler plus, il faut résolument tourner le dos au mythe du partage du travail. C'est la voie choisie par nos nouveaux dirigeants qui veulent " valoriser le travail ". Pour y parvenir, le gouvernement envisage la suppression des charges sociales et de l'impôt sur le revenu sur les heures supplémentaires. Cette proposition part de l'idée selon laquelle il n'est pas souhaitable de toucher à la durée légale du travail, qui doit donc rester à 35 heures hebdomadaires. Dès lors, les heures supplémentaires deviennent effectivement un outil privilégié pour accroître le temps de travail et donc a priori le revenu de ceux qui en bénéficient. Les mesures proposées consistent à abaisser le coût de l'heure supplémentaire pour l'employeur et à accroître le gain pour le salarié bénéficiaire, ce qui devrait logiquement inciter à augmenter le volume des heures supplémentaires. En pratique, cette séduisante mécanique risque de dérailler, pour deux raisons.

Ceux qui effectueront plus d'heures supplémentaires verront effectivement leurs revenus s'accroître. Néanmoins, l'accroissement des heures supplémentaires risque de se faire au détriment de nouvelles embauches. Par ailleurs, il faudra financer les pertes de recettes résultant de la détaxation des heures supplémentaires. Et ces nouveaux prélèvements pèseront forcément sur les revenus de certaines catégories de la population. Ainsi, les effets sur l'emploi et l'ensemble des revenus de ces dispositifs paraissent pour le moins aléatoires.

La détaxation des heures supplémentaires présente un autre défaut majeur : elle risque de coûter beaucoup plus cher que les 5 milliards d'euros initialement prévus tout simplement parce qu'employeurs et salariés auront intérêt à déclarer des heures supplémentaires fictives pour bénéficier de l'absence de prélèvements. Il leur suffira de déclarer que les primes et bonus, actuellement versés au titre du rendement, le sont au titre des heures supplémentaires. Ils pourront aussi augmenter les salaires mensuels en déclarant des heures supplémentaires fictives plutôt qu'en augmentant les salaires horaires. De tels procédés, invérifiables par l'administration, sauf à placer un inspecteur du travail derrière chaque salarié, augmentent la dépense publique sans que celle-ci ait les effets escomptés.

En résumé, le gouvernement prépare une réforme bien intentionnée, mais aux effets complexes et imprévisibles. Les subtilités légales, les révisions du texte initial et les difficultés de mise en oeuvre risquent de faire émerger une usine à gaz. Dans ce contexte, le principe de l'expérimentation, cher à Tony Blair, s'impose. Il devrait d'ailleurs s'appliquer à beaucoup des réformes à venir. Avant de dépenser plusieurs milliards d'euros, il est essentiel d'expérimenter sur une échelle réduite la détaxation des heures supplémentaires. Cette expérimentation pourrait se dérouler dans un ou plusieurs secteurs confrontés à des difficultés de recrutement, comme l'hôtellerie, la restauration ou le bâtiment par exemple. Si elle est réussie, la réforme sera facile à généraliser. Si les problèmes se révèlent trop nombreux, elle sera plus facile à modifier ou à abandonner.

Si une telle démarche avait été adoptée pour évaluer les conséquences des 35 heures, celles-ci n'auraient sans doute pas été généralisées. La complexité de l'édifice aurait été plus évidente. C'est un excès d'idéologie et un manque de pragmatisme qui expliquent l'erreur des 35 heures. Espérons que le gouvernement actuel ne tombera pas dans le même piège pour les réformes qu'il compte entreprendre.

Olivier Blanchard, Professeur au MIT

Pierre Cahuc, Professeur à l'université Paris-I, chercheur au CREST

André Zylberberg, Directeur de recherche au CNRS, université Paris-I

Source : Le Monde daté du 5 juin 2007.

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