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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
8 juillet 2007

DISSUASION ET RUPTURE PENALE : ENTRETIEN AVEC DENIS SALAS

La réforme de la loi pénale repose sur trois postulats discutables, selon Denis Salas : le laxisme du juge, l'incarcération pour prévenir la récidive et la focalisation désormais quasi exclusive sur la victime. Un glissement vers le modèle américain au moment où celui-ci est remis en question.

De quelle philosophie relève la nouvelle réforme pénale qui crée les peines planchers pour les récidivistes ?

C'est un projet qui dit au délinquant : " Tu n'as que ce que tu mérites et tu serviras d'exemple à ne pas suivre. " Il marque l'érosion de la philosophie de la réhabilitation, qui était inscrite dans notre tradition pénale, et la montée en puissance de la dissuasion.

La dissuasion relève d'un modèle utilitariste : la peine est pensée comme le calcul lucide des profits et des pertes que le candidat à la délinquance doit anticiper. Ce dernier est vu comme un être rationnel, capable de mesurer les conséquences de ses actes. Le législateur recherche un effet d'exemplarité. Il suffirait ainsi d'élever le quantum des peines pour augmenter la dissuasion. Ce modèle a été pensé par Jeremy Bentham, au XVIIIe siècle, en Angleterre. Les doctrines américaines du courant " law and economics " l'ont repris. Pour notre pays, c'est une rupture. Pourtant, on n'a jamais vu, dans l'histoire, un recul de la criminalité par l'augmentation de la peine. Le bagne ou la transportation aux colonies n'ont pas fait reculer au XIXe siècle le " péril récidiviste ", bien au contraire.

Le projet actuel ne comporte pas de peines automatiques. Le juge garde son pouvoir d'appréciation. Par une sorte d'autolimitation, le gouvernement a intériorisé les contraintes liées au respect de la Constitution. Mais le projet dit aussi que les seuils minima de peine pourront être écartés par une motivation spéciale. C'est une injonction paradoxale envoyée aux juges qui motivent peu (en correctionnelle) ou pas (aux assises) et qui devront, en outre, viser des " garanties exceptionnelles " de réinsertion pour des multirécidivistes. L'inflation carcérale est mécaniquement inscrite dans cette réforme. Un adolescent de 16 ans qui volera un portable après deux autres vols devra purger deux ans de prison, sauf exception motivée.

L'exposé des motifs du projet évoque la nécessité de combattre la récidive. Comment le décrypter ?

La réforme repose sur trois postulats discutables. Le laxisme du juge, d'abord. Il ne correspond pas à la réalité. Le juge est répressif. Quand une personne récidive, elle retourne en prison dans 80 % des cas. Le nombre de condamnés en état de récidive ne cesse d'augmenter depuis cinq ans : de 20 000 à 33 700 de 2000 à 2005, selon l'exposé des motifs du projet. Le taux de libération conditionnelle est au plus bas. Où est l'indifférence du juge devant la récidive ? Quel est le sens de ce " devoir de combattre " ce phénomène comme le dit le texte ministériel ?

Deuxième postulat : l'incarcération serait le seul moyen de répondre à la récidive. Or c'est la combinaison des réponses qui est efficace. Nous savons que 17 % des condamnés pour homicide volontaire récidivent quand ils sortent de prison sans accompagnement, contre 9 % de ceux qui bénéficient d'une libération conditionnelle. Le suivi individualisé à la sortie de prison réduit la récidive. C'est une donnée criminologique incontournable.

Troisième postulat : la délinquance est regardée du point de vue de la victime ; elle est perçue comme une menace indifférenciée. Nous ne voyons plus l'individu en particulier mais la délinquance en général comme un fléau à endiguer. Cela conduit à confondre le mineur et le majeur, à ignorer l'auteur de l'acte.

Deux gestes politiques témoignent de cette évolution des représentations. En 1974, à peine élu président de la République, Valéry Giscard d'Estaing va serrer la main d'un détenu de la prison Saint-Paul de Lyon. Le détenu, alors, demeure un semblable. La punition n'est pas synonyme d'exclusion. En 2007, l'un des premiers gestes de Nicolas Sarkozy devenu président est de recevoir les parents d'une jeune femme assassinée, ce à quoi fait écho l'annonce par la garde des sceaux de la création d'un " juge pour les victimes ".

Comment les juges ont-ils intégré cette volonté dissuasive et répressive ?

Les juges intègrent, de plus en plus, un modèle de prédiction des risques. Intuitivement, ils se demandent : " Est-ce que la gravité de l'acte me permet de penser que cette personne va continuer dans cette voie ? " Pour cela, les juges attendent des réponses à plusieurs questions : est-ce que l'intéressé avoue ? regrette-t-il les faits ? peut-il maîtriser les causes de sa délinquance ? Si le prévenu ne répond pas à ces trois questions, les juges estiment que le risque de récidive est fort et punissent sévèrement. La philosophie de la peine prononcée devient clairement rétributive. C'est le : " Tu n'as que ce que tu mérites. "

Plus généralement, quel rôle la société assigne-t-elle à la loi pénale ?

Anthropologiquement, la loi pénale est d'essence réactive. Elle vise à répondre à la violence de la transgression par la violence légale : annuler le crime par la peine. Peu à peu, par l'influence de la religion chrétienne, puis de l'humanisme pénitentiaire, la loi a rationalisé sa réaction, l'a mesurée, elle s'est faite intégrative. C'est cette dynamique qui est compromise. Dans nos démocraties d'opinion, la loi pénale devient un instrument de régulation des peurs collectives et non une codification réfléchie des sanctions. La réforme des peines planchers va dans ce sens en affirmant une unanimité contre le délinquant, le récidiviste, l'adolescent menaçant, bref " l'autre dangereux ". La loi pénale ne cache plus sa volonté de neutralisation pure et simple des récidivistes.

Peut-on comparer la France aux Etats-Unis ?

Nos cheminements comparés sont troublants. Le paradoxe est que nous nous rapprochons du modèle américain au moment où celui-ci est remis en question devant le coût exorbitant de la prison et le doute sur son efficacité. Aux Etats-Unis, le tout-carcéral a été symbolisé par le slogan des conservateurs, opposés à la réhabilitation : " Nothing works ", rien ne marche contre la délinquance. Il a donné une équation simplissime : si la punition est douce, le crime augmente, si elle est dure, le crime diminue. Les libéraux ont eux aussi adhéré à cette doctrine car ils critiquaient le nanny state, l'assistance de " l'Etat-nounou ", la conception thérapeutique de la peine. Une explosion carcérale sans précédent a suivi.

En France, la droite affirme depuis quelques années une doctrine cohérente consistant à dénoncer le modèle éducatif tout en réclamant plus de sévérité au nom des victimes. La gauche, de son côté, n'a présenté ni proposition argumentée ni doctrine alternative. Le modèle proposé par la droite a ainsi pu s'imposer.

En quoi le fait de considérer un mineur comme un majeur est-il une rupture ?

Le modèle de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante privilégie une procédure prioritairement éducative. Après la guerre, la jeunesse incarnait l'avenir de la nation et faisait partie d'un projet politique qui incluait même les plus inéducables. Contrairement au modèle pénal classique qui identifie le délinquant par son acte, le modèle éducatif le considère comme un adolescent, en reconnaissant la spécificité à un âge de la vie où l'on doit apprendre les limites. Ainsi s'explique le refus de juger les mineurs comme les majeurs.

Le projet actuel efface cette spécificité. Jusque-là, nous étions restés dans un modèle éducatif dit " renforcé ". La baisse de la majorité pénale à 16 ans pour les infractions graves représente une rupture car, désormais, l'incarcération sera la réponse prioritaire. L'argument selon lequel les adolescents d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes qu'hier n'a que l'apparence du bon sens. Derrière le masque de la provocation, l'adolescent cache souvent sa vulnérabilité et ses échecs. Hors de son groupe de pairs, confronté à ses actes, le masque tombe. Au lieu d'augmenter des peines déjà lourdes, il faudrait leur donner sens. Le psychiatre Tony Lainé recommandait un traitement particulier pour les adolescents criminels. Il proposait un tutorat pour ceux qui effectuent des longues peines, et, à leur sortie de prison, une audience de réhabilitation, un rituel positif permettant le retour à la vie sociale. Ce type de mesure permettrait d'éviter la récidive.

Quelle serait une vraie politique de lutte contre la récidive ?

Pour refonder cette politique, il faut s'appuyer sur le courant libéral qui, au sein de la droite, reste attaché à l'individualisation des peines. C'est celui qu'avait exprimé le député Jean-Luc Warsmann dans son rapport sur l'aménagement des peines, dont les conclusions ont été intégrées à la loi Perben 2 sur la criminalité organisée. Il s'agit de reconnaître que la prison n'est qu'un moment de la peine. La sortie étant inéluctable, il convient de la préparer et de l'encadrer, à travers une progressivité des peines qui minimise le risque de récidive.

Le gouvernement annonce pour l'automne un débat sur l'humanisation des prisons. Pourquoi ne pas lancer, à cette occasion, un débat sur la faible crédibilité de la justice quand des peines prononcées ne sont pas exécutées, et sur la pauvreté absolue des moyens ? On ne peut rester sur l'idée selon laquelle le délinquant qui a commis une faute doit payer en étant seul responsable de ses actes. L'Etat doit prendre sa part de responsabilité. Il doit accompagner ce projet répressif d'une politique publique d'inspiration sociale et éducative. Albert Camus l'avait dit au sujet de la peine de mort : la dissuasion ne règle rien. Aujourd'hui nous ne devons pas laisser croire que la dissuasion carcérale va réduire la criminalité. Il faut évidemment réprimer les actes. Mais aussi déployer une pluralité d'initiatives pour s'attaquer aux causes de la délinquance.

Source : Le Monde daté du 8 et 9 Juillet 2007. Propos recueillis par Nathalie Guibert. Denis Salas est magistrat et chercheur. Il est l'auteur de " La Volonté de punir : essai sur le populisme pénal ", Hachette Littérature, 2005.

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