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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
3 août 2007

MENACES SUR L'ACCES AUX SOINS, PAR DIDIER TABUTEAU

L'instauration d'une franchise médicale et l'ampleur des dépassements d'honoraires fragilisent l'assurance-maladie.

La santé a été la grande absente des débats pendant la campagne présidentielle. Pourtant le projet de créer une franchise de remboursement pose une question politique de première importance. Il pourrait remettre en question les principes fondateurs de l'assurance-maladie.

D'abord parce que la franchise créerait un obstacle dans l'accès aux soins en dissuadant les ménages aux revenus modestes de consulter ou de se soigner dès lors que les premiers frais médicaux de l'année ne seraient plus remboursés. Ensuite parce qu'elle peut conduire à détacher une partie de la population de l'assurance-maladie : les usagers à faible consommation qui ne seront plus remboursés et, si la franchise est établie en fonction des revenus, les ménages les plus aisés même en cas de consommation significative. Et l'on sait la propension des réformes des systèmes de santé en Europe à permettre aux ménages aux revenus les plus élevés de choisir leur assurance-maladie, publique ou privée. Enfin la franchise fait peu de cas du principe fondamental selon lequel l'assurance-maladie repose d'abord sur la solidarité entre les bien-portants et les malades, que traduisent les cotisations sociales et la CSG.

Mais le débat sur la franchise aura au moins eu le mérite de poser la question, jusqu'alors confinée dans les cercles d'experts, du " reste à charge ", ce mystérieux RAC auxquels sont habitués les lecteurs des rapports administratifs sur les dépenses de santé. La notion de " reste à charge " recouvre la part des dépenses de santé non prise en charge par la Sécurité sociale. Le reste à charge annuel imputable aux seuls tickets modérateurs et forfaits prévus par la Sécurité sociale est d'environ 240 euros par personne, et 10 % de la population supportent à ce titre, parfois sans assurance complémentaire ou mutuelle, une dépense de plus de 500 euros, qui atteint même, pour 900 000 personnes, le montant de 1 000 euros. Instituer un bouclier sanitaire - la proposition de Pierre-Louis Bras, Etienne Grass et Olivier Obrecht - c'est-à-dire plafonner le montant maximal du reste à charge, en prévoyant l'intervention à 100 % de l'assurance-maladie lorsque ce montant est dépassé, est une mesure indispensable.

Indispensable mais insuffisante. Il est aujourd'hui crucial de prendre aussi en compte les dépenses supportées par les malades au-delà des tarifs de référence de l'assurance-maladie, les dépassements tarifaires bien connus en matière de prothèses dentaires ou d'optique, mais qui se développent rapidement dans les cabinets des médecins spécialistes de ville. Or si l'on étend la notion de " reste à charge " aux dépassements tarifaires, le montant annuel moyen du RAC s'élève alors à environ 400 euros, et 40 % de cette somme sont imputables aux dépassements.

La liberté tarifaire est une question centrale pour l'avenir de l'assurance-maladie. Les conventions avec les professions de santé ont eu, dès leur origine, pour objet de garantir des tarifs dits opposables, c'est-à-dire connus des assurés sociaux et garantissant un niveau de remboursement satisfaisant par la Sécurité sociale. Pourtant les pratiques de dépassement tarifaire se sont multipliées depuis 1980. L'inspection générale des affaires sociales a consacré en avril un rapport édifiant à cette question : pour les seuls médecins, les dépassements représentaient 2 milliards d'euros sur un total de 18 milliards d'euros d'honoraires.

Plus grave, le rapport montre que le montant des dépassements dans le secteur à honoraires libres a doublé en valeur réelle de 1990 à 2005. L'ampleur des dépassements pour certaines spécialités et dans certaines régions remet même en question l'égal accès aux soins, y compris pour des actes chirurgicaux lourds que les règles de la Sécurité sociale avaient prévu de prendre en charge à 100 %.

L'augmentation prévisible des dépenses de santé à échéance de 2025, peut-être 4 points de PIB selon les estimations récentes du Haut Conseil de l'assurance-maladie (HCAM), fait peser la menace d'une déconnexion croissante des tarifs de la Sécurité sociale et des tarifs réels des honoraires médicaux comme d'ailleurs des produits de santé. Le débat sur les dépassements tarifaires ne doit donc pas être dissocié de celui sur le bouclier sanitaire !

Des mesures s'imposent d'urgence. D'abord garantir l'accès à l'information sur les honoraires libres. Chaque assuré devrait pouvoir obtenir de sa caisse de Sécurité sociale ou consulter sur son site Internet les tarifs pratiqués l'année précédente par le praticien auquel il s'adresse. Ces chiffres sont obligatoirement déclarés sur les feuilles de maladie, ils doivent être mis à disposition des malades. De même que les refus de soins, les dépassements tarifaires dont sont victimes les bénéficiaires de la CMU, et que la loi prohibe, doivent faire l'objet de sanctions.

Enfin le conventionnement des praticiens avec la Sécurité sociale doit être conditionné au respect de tarifs plafonds, même dans les cas de dépassement ou de liberté tarifaire. Dans ces conditions, et avec une démarche conjointe de l'assurance-maladie et des organismes de protection complémentaire, le reste à charge réel des usagers du système de santé pourrait être limité et l'égalité d'accès aux soins mieux garantie. En matière de santé comme de chevalerie, le bouclier ne suffit pas, il faut aussi un heaume !

Source : Le Monde en date du vendredi 3 août 2007. Didier Tabuteau est Responsable de la chaire santé à Sciences Po et professeur associé à l'université Descartes-Paris-V.


JEAN-PIERRE DAVANT, PRÉSIDENT DE LA MUTUALITÉ FRANÇAISE : "AVEC LES FRANCHISES, ON SORT DU CHAMP TRADITIONNEL DE FINANCEMENT DE LA SANTE, DE SON SYSTEME SOLIDAIRE"

Que pensez-vous de la proposition du chef de l'Etat, faite mardi 31 juillet, d'un nouveau système de franchises pour financer la lutte contre le cancer, Alzheimer et les soins palliatifs ?

Ce sont des causes justes, elles méritent une réponse précise et des engagements tenus. La Mutualité française soutient ces causes. Nous mettrons en place, à partir du 1er janvier 2008, un parcours de santé pour mieux orienter nos adhérents et pour que les familles puissent mieux s'organiser dans le cadre de ces pathologies.
Mais, franchement, je ne vois pas comment, à partir de franchises payées par les seuls malades, avec une sécurité sociale déficitaire, on pourrait dégager les sommes nécessaires pour tenir les promesses faites par le président de la République.

Quelle est la solution, selon vous, pour financer ce que vous reconnaissez être des causes importantes ?

Je propose au gouvernement et au chef de l'Etat de mettre en place un véritable système de solidarité, qui permettrait une meilleure prise en charge de ces pathologies. Je ne connais pas d'autre moyen que de faire appel à la solidarité nationale par le biais d'un impôt ou d'une taxe.

Nicolas Sarkozy a souhaité que les assurances complémentaires puissent prendre en charge ces nouvelles franchises. Qu'en pensez-vous ?

J'ai entendu tout et son contraire : la prise en charge par les mutuelles, souhaitée par M. Sarkozy, et l'impossibilité de le faire, ainsi qu'une version intermédiaire, qui lierait cette prise en charge à un contrat dit " responsable " de la part de l'assurance complémentaire. J'attends donc d'y voir plus clair et l'ouverture d'une négociation officielle. Mais cela ne me semble pas logique que ce soient les complémentaires qui financent le plan cancer, Alzheimer, la recherche sur ces maladies ou encore les soins palliatifs. On ne sait plus trop bien dans quel système on est. De plus, si les complémentaires doivent financer l'équivalent de ce qui a été estimé à 850 millions d'euros, il est évident qu'elles seront obligées d'augmenter leurs cotisations. Mais là n'est pas l'essentiel.

Qui est, selon vous...

Il n'est pas juste de financer la lutte contre ces maladies, la recherche et l'amélioration des soins palliatifs en prélevant des fonds chez les personnes qui vont chez le médecin. Et ceux-là mêmes qui sont atteints de ces maladies - que l'on dit vouloir mieux traiter - seront les premiers à payer. Cela ne me paraît pas correct.

On a parlé de TVA sociale, de bouclier sanitaire et de franchises. Le débat sur le financement de la protection sociale n'est-il pas décousu ?

Avec les franchises, on sort du champ traditionnel de financement de la santé, de son système solidaire. Si on gérait correctement le système de santé, avec des réformes pour améliorer la qualité des soins, une meilleure répartition de l'offre de soins, une meilleure liaison entre la médecine de ville et l'hôpital, ou encore une meilleure vérification des périmètres de compétence chez les professionnels de santé, infirmières, médecins, etc., on pourrait dégager les sommes nécessaires pour financer les causes énoncées par M. Sarkozy. Mais on refuse obstinément depuis une trentaine d'années de le faire. Pour l'essentiel, le financement de la protection sociale est basé et pèse sur les salaires. Il faut revoir ce système.

Pourquoi, selon vous, cette réforme du financement et de la politique des soins en France n'est-elle pas conduite ?

Tous les gouvernements ont cédé aux différents lobbies qui s'exercent dans notre système de santé : laboratoires, syndicats de médecins... Notre dispositif est malmené, en mauvaise santé financière, et l'on donne des augmentations à un certain nombre de professions, dont les médecins libéraux. C'est choquant.

Avez-vous été contacté par l'Elysée ou Matignon avant les annonces du chef de l'Etat ?

Je n'ai pas été contacté, et il n'y a pas eu de négociation sur le sujet des franchises. Mais cela me paraîtrait la moindre des choses que le président de la Mutualité française, qui représente 38 millions de bénéficiaires, principal mouvement de santé, soit consulté sur ce sujet.

Source : Le Monde en date du vendredi 3 août 2007. Propos recueillis par Rémi Barboux.


FRANCHISES : SARKOZY PERSISTE DANS L'HYPOCRISIE

Source : Communiqué de presse de Pascal Terrasse et de Claude Pigement, Secrétaire national à la Santé et Responsable national à la Santé du Parti socialiste, en date du mardi 31 juillet.

Le président de la République a annoncé ce matin à Dax la mise en œuvre de franchises médicales. Ces franchises seront de 50 euros par an et par assuré. Ces mesures se placent dans la continuité de celles prises par les gouvernements Raffarin et Villepin qui avaient déjà diminué les remboursements des consultations médicales et relevé le forfait hospitalier.

Cette annonce est choquante. Elle intervient :

Au cœur de l'été pendant les vacances des Français

Au moment où le gouvernement vient de faire voter 13 milliards de cadeaux fiscaux pour une poignée de privilégiés.

Elle utilise la compassion en direction des malades du cancer ou d'Alzheimer pour justifier une mesure impopulaire destinée à combler pour partie les conséquences de la politique de la droite en matière de protection sociale.

Les franchises pénaliseront les malades. Elles toucheront les familles les plus modestes même si Nicolas Sarkozy affirme qu'elles seront exonérées sans toutefois préciser le seuil.

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