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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
26 septembre 2007

MONSIEUR SARKOZY AU SENAT, PAR JEAN-PIERRE BEL

Nicolas Sarkozy s’est exprimé devant la presse dans une salle du Sénat. Pour le grand public, il s’est exprimé devant le Sénat. Aujourd’hui, la Constitution l’interdit. Demain, ce pourrait être autorisé. N’est-ce pas là l’unique objectif poursuivi par la procédure de réforme des institutions lancée par le président de la République ? En effet, les propositions du comité Balladur, placé devant le fait accompli de l’hyperprésidence, ne paraissent pas se donner pour objectif le rééquilibrage nécessaire de nos institutions. Ce pourrait bien être le rendez-vous des dupes.

L’évolution du régime parlementaire engagée en 1958 a été largement dominée, dès 1962, par l’élection du président de la République au suffrage universel. Le fait majoritaire, la personnalisation du pouvoir, la conduite, par le chef de l’Etat, de la politique européenne, l’inversion du calendrier ont accru la présidentialisation du régime. Le quinquennat, adopté en 2000, a suivi la même pente. Est-elle fatale ? L’avenir nous le dira, mais, même rendue plus improbable, une cohabitation n’est jamais impossible. On peut souligner ainsi la souplesse de nos institutions, qui se sont accommodées autant de l’effacement du chef de l’Etat, de 1997 à 2002, que de celui du Premier ministre, depuis quatre mois. Les articles 20 et 21 de la Constitution - «Le Premier ministre détermine et conduit la politique de la nation» et «Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement» - paraissent aujourd’hui complètement décalés. Nul ne le conteste. Nul ne s’en émeut, bien que l’article 5 de la Constitution assigne au chef de l’Etat le rôle de veiller au respect de la Constitution, manifestement bafouée. De toute façon qu’importe, Nicolas Sarkozy n’a plus rien à démontrer. Le Président gouverne. Son principal conseiller n’est plus le Premier ministre, mais le secrétaire général de l’Elysée, qui n’a d’autre légitimité démocratique que sa nomination par le chef de l’Etat, ce qui est, on le concédera, sans doute insuffisant. On pourrait se contenter de ce constat, déjà entrevu dans notre histoire institutionnelle. Après tout, la marge de manœuvre laissée par Giscard d’Estaing à son Premier ministre en 1974 était si faible que ce dernier démissionna deux ans plus tard pour cette raison.

Le seul problème, et il est de taille dans une démocratie, c’est la responsabilité du politique. A l’heure actuelle, elle n’existe, pour le chef de l’Etat, que devant les Français et à l’issue de son mandat.

La révision du 23 février 2007 a cependant modifié la nature de sa responsabilité. De pénale, elle est ­devenue politique. Le Parlement peut désormais destituer le président pour un manquement incompatible avec les devoirs de sa fonction. Cette imprécision, voulue, peut ouvrir la porte à une vraie responsabilité politique, qui pourrait alors déboucher vers un conflit de légitimité entre l’élu de la nation et la représentation nationale, dont les citoyens seraient les arbitres. La destitution pourrait être prononcée, en dehors de toute infraction pénale, parce que le chef de l’Etat n’a pas respecté la Constitution. Cette hypothèse est toutefois complètement virtuelle compte tenu de la composition actuelle des assemblées. Dès lors, le problème de la responsabilité reste entier, car comment combiner une présidence gouvernante mais irresponsable et un chef du gouvernement politiquement responsable sans disposer de la capacité d’initiative et d’action qui en sont les corollaires ? Or la lettre de mission du chef de l’Etat assigne au comité Balladur de rechercher la mise en adéquation entre les textes et les faits, une pratique institutionnelle de concentration du pouvoir sans précédent ni équivalent dans le monde. L’équation est impossible à résoudre. Ce n’est pas la faculté qui sera reconnue au président de la République de s’exprimer directement devant le Parlement, principal objectif poursuivi par Nicolas Sarkozy, qui permettra de mettre en œuvre le principe de responsabilité. Si le chef de l’Etat veut instaurer le régime présidentiel, qu’il le dise clairement et que les Français approuvent, ou non, cette évolution majeure.

Si le Président veut gouverner, alors la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale n’a plus de sens, pas davantage que son contrepoids, le droit de dissolution. On devra alors avoir le courage de proposer la suppression des articles 49 et 12 de la Constitution. En tout cas, la pratique parlementaire des premières semaines du gouvernement ne va pas dans le sens d’un renforcement des pouvoirs du Parlement, nécessaire et corollaire au rééquilibrage des institutions. Renforcer la démocratie, redonner au Parlement les moyens d’agir, appliquer le mandat parlementaire unique, reconnaître à l’opposition la place qui devrait être la sienne dans toute démocratie, permettre aux étrangers de voter aux élections locales, telles sont les vraies pistes d’une modernisation et d’un rééquilibrage des institutions. On est loin de l’obsession du chef de l’Etat : que la Constitution s’adapte à son appétit de pouvoir sans cesse grandissant.

Source : Libération en date du 26 septembre 2007. Jean-Pierre Bel est Président du Groupe socialiste au Sénat.

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