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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
29 novembre 2007

LE SARKOZYSME N’EST PAS UNE ECOLOGIE, PAR EMMANUEL GIANNESINI

Tout indique que le Grenelle de l’environnement, une fois retombé l’enthousiasme artificiel qui a suivi le discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 25 octobre, jouera le même rôle que la Charte de l’environnement adossée à la Constitution : une déclaration d’intention vague et généreuse, et puis plus rien.

On est bien conscient d’endosser ici le rôle difficile de la voix dissonante dans le beau concert unanime qu’entretient la force de frappe de la communication présidentielle. Mais en réalité, les résultats de la grande opération voulue par le président de la République sont déjà décevants. Et ils risquent de l’être plus encore sitôt engagées les actions évoquées le 25 octobre au vu de la fragilité des bases sur lesquelles elles reposent.

C’est tout le problème : le diagnostic posé par l’ensemble des acteurs du Grenelle est juste. A l’exception de quelques scientifiques myopes et de court-termistes obtus, plus personne ne nie l’urgence d’agir devant une accumulation de phénomènes qui mettent en cause rien moins que la survie de l’humanité, du moins dans sa forme civilisée. Le changement climatique et l’épuisement des ressources (tant quantitatif que qualitatif) appellent, non pas une adaptation de nos modes de vie et de production, mais une révolution éthique de notre rapport au monde et à la nature. Quelque chose comme l’inversion du rapport de domination utilitariste issu de la descendance cartésienne au profit d’une intelligence globale de notre position dans la nature. Ceci, tout le monde ou à peu près le sait. Même Nicolas Sarkozy, dans son discours du 25 octobre, a trouvé les mots pour le dire, fût-ce par le détour de métaphores empruntées : "Je veux que le Grenelle soit l’acte fondateur d’une nouvelle politique, d’un New Deal écologique en France, en Europe, dans le monde."

Les mots pour le dire, mais ni les actes, ni même la volonté pour le faire.Tel est le cœur du présent commentaire : montrer qu’en l’état, le Grenelle de l’environnement n’est absolument pas à la hauteur des enjeux, parce qu’il ne repose pas sur les bases éthiques et politiques qui auraient tracé la voie d’une véritable révolution écologique.

Il ne s’agit pas ici de ratiociner sur l’efficacité de telle ou telle action en passant à côté de ce qui nous est vendu comme l’essentiel, c’est-à-dire une "mise en mouvement". En matière écologique, prétendre agir est presque pire que mal agir, car c’est perdre du temps face à des mécanismes dont la première caractéristique est leur intrication cumulative. Ce constat n’a rien d’abstrait : c’est exactement ce que vient de vivre la France pendant cinq ans, où l’ « élan » donné par la promesse de la Charte constitutionnelle, finalement adoptée en février 2005, a tenu lieu de politique environnementale pendant toute une législature, alors que ladite Charte ne créait aucune obligation d’agir ou de ne plus agir, ne recelait aucun mécanisme d’efficacité directe, servait d’alibi à la majorité UMP pour prendre sur tous les autres fronts cinq ans de retard2. A l’époque, on demandait parfois à l’auteur de ces lignes comment, en tant qu’écologiste, il pouvait être opposé à la Charte. Eh ! bien voilà : parce que brandir le fantôme d’une politique dispense d’en engager une, et qu’il faut plusieurs années pour comprendre l’entourloupe. Ce n’est qu’aujourd’hui que les Français constatent à quel point la Charte n’a rien changé à la politique française, alors qu’elle permettait à Jacques Chirac de se forger une image de défenseur de la planète sans avoir aucune mesure un tant soit peu effective à son crédit (sauf, peut-être, le fonds Unitaid, mais il ne s’agit déjà plus là d’écologie).

Le satisfecit délivré par les ONG et quelques personnalités dont l’engagement écologique n’est pas contestable ne doit pas induire en erreur. La communication élyséenne et une sphère médiatique peu encline à l’analyse en profondeur ont minimisé les réserves – nombreuses et substantielles – qu’ont exprimées ces ONG vis-à-vis des arbitrages finaux rendus par le président de la République. De façon plus générale, on peut objectivement comprendre que certains acteurs de l’écologie jettent un regard globalement positif sur les résultats du Grenelle après quelque trente années passées à crier dans le désert. Invités pour la première fois depuis 2002 à la table, non pas de négociation mais du moins de concertation, on peut comprendre qu’ils aient souhaité positiver au sortir d’un bel exercice de démocratie participative. Cette démocratie participative qui avait suscité tant de railleries à droite lorsqu’elle fut évoquée comme méthode de gouvernement par une candidate à l’élection présidentielle, et qui constitue le cœur du projet politique des Verts depuis des années… Mais passons. Il y a toujours une grande joie à accueillir des convertis.

Reste que cela ne change pas grand chose au constat qui s’impose après un examen rigoureux du programme annoncé par Nicolas Sarkozy.

Que l’on s’entende bien dès l’abord. Si toutes les mesures arbitrées à l’occasion du Grenelle étaient mises en œuvre dans les délais qui leur sont assignées, ce serait un progrès pour l’écologie. Personne n’ira le contester. Il n’empêche que ce serait insuffisant pour simplement mettre la France sur la voie d’un développement réellement et sincèrement pensé comme durable. Et comme de surcroît, la probabilité que toutes ces mesures soient mises en œuvre par l’actuelle majorité est quasi-inexistante du fait même de leurs contradictions internes (plusieurs exemples suivront…), le Grenelle exigerait au minimum un peu plus de modestie de la part de ses promoteurs.

Il suffit d’un peu de recul et d’un peu d’analyse critique pour constater que la voie tracée par le gouvernement est en effet celle d’une parfaite continuité, puisqu’elle n’incarne aucun choix et ne reflète aucune valeur. Les termes peuvent sembler excessifs, mais il faut ici les prendre au sens strict : aucun choix entre des modes de développement contradictoires, aucune valeur dont il conviendrait de tirer les conséquences jusqu’au bout.

A la vérité, il fallait être naïf pour croire en ce domaine à une rupture. On se contentera de rappeler ici qu’il n’est pas une seule mesure aujourd’hui avancée dans le cadre du Grenelle (pas une seule, chacun pourra s’amuser à le vérifier) qui n’ait été inscrite dans la Stratégie nationale de développement durable élaborée par le gouvernement de Lionel Jospin en mars 2002 en vue du sommet de Johannesburg. Stratégie qui fut aussitôt abandonnée par la majorité UMP de Jean-Pierre Raffarin et Nicolas Sarkozy quelques semaines plus tard au profit de la Charte constitutionnelle évoquée ci-dessus dont on chercherait en vain, depuis quatre ans, la moindre décision législative ou juridictionnelle prise sur son fondement.

Le commentaire du Grenelle proposé ici se situe dans une perspective résolument écologiste (ce qui veut simplement dire que l’écologie y est prise au sérieux). Il vise à pointer les contradictions et les insuffisances éthiques et politiques de la conversion écologique proclamée le 25 octobre dernier.

Si l’on a bien compris le fonctionnement actuel de l’Etat, la feuille de route du gouvernement, de la majorité UMP et de tous ceux qui sont priés de suivre quoi qu’ils en pensent a été délivrée par le discours prononcé par Nicolas Sarkozy. C’est donc ce discours, éclairé par les arbitrages qu’il annonce explicitement ou qu’il entérine implicitement, qui doit être jugé comme le point d’aboutissement du Grenelle.

Or, ce qui frappe immédiatement – ou, faudrait-il écrire plus justement, ce qui frappera tout lecteur sincèrement engagé en faveur d’un développement durable de la planète – c’est la triple absence qui caractérise le programme présidentiel : absence d’éthique, absence de politique, absence de moyens.

Seule cette dernière a (déjà) été abondamment remarquée et commentée. S’il est vrai qu’elle jette à elle seule de sérieux doutes sur la possibilité de simplement amorcer le programme de mesures annoncé par le chef de l’Etat, elle est d’abord et en réalité la conséquence d’une absence de réflexion éthique et politique vis-à-vis de ce que signifie le développement durable, dont le Grenelle voulait a minima incarner le volet environnemental. Les plus optimistes objecteront que le discours du 25 octobre constitue du moins un catalogue d’actions, ce qui, à défaut de vision, est toujours ça de pris. Les plus réalistes sauront que des actions sans vision passent à côté de l’essentiel et ne survivront pas aux premières difficultés de leur mise en œuvre. Le tamis de la négociation avec le MEDEF, et surtout avec la propre majorité du président, l’a déjà montré avant même les ultimes arbitrages : seules les petites mesures se sont faufilées, lorsque les plus ambitieuses restaient au panier.

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Source : La Forge, Note électronique n°1, Jeudi 29 novembre 2007. Emmanuel Giannesini est Maître de conférences à Sciences Po, chroniqueur à Philosophie Magazine.

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