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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
1 décembre 2007

VENT MAUVAIS SUR LA CULTURE, PAR NAJAT BELKACEM

Rescapé in extremis du projet présidentiel de fusion avec l’Education nationale, le ministère de la Culture est aujourd’hui dans la tourmente. Il y eut d’abord l’acte I de la mise en cause des politiques défendues depuis Malraux dans la lettre de cadrage du Président, la stigmatisation de la démocratisation culturelle et la volonté de rompre avec une politique de l’offre pour aller vers une politique de la demande, conforme aux volontés d’un audimat présupposé.

Il y eut ensuite le coup de menton regrettable au directeur de la scène nationale de Belfort, tancé pour avoir publié en guise d’éditorial une lettre de Benoît Lambert qui ne faisait que parler avec humour et talent du sentiment de ceux qui n’avait pas voté pour Nicolas Sarkozy. Et puis il y a aujourd’hui cette cacophonie budgétaire par laquelle la ministre tente de masquer une sinistre réalité et de faire taire les inquiétudes.

Ce budget qui devait être celui de la consolidation est celui du désengagement. Derrière la hausse affichée de 3,2 % se cache une lente dégradation financière engagée dès 2002 sur fond d’épuisement de la politique culturelle de l’Etat et de transfert de charges à des collectivités locales qui financent, à elles seules, deux tiers de la dépense culturelle publique et sont aujourd’hui mises devant le fait accompli. La ministre a beau tenter de donner le change et parler d’un exercice de bonne gouvernance, la réalité est malheureusement différente. Christine Albanel, qui considérait son budget comme "satisfaisant", aura d’ailleurs fini par avouer devant la commission des finances de l’Assemblée qu’il s’agissait en fait d’un "budget d’austérité". Encore s’est-elle bien gardée de dire qu’elle ne l’appliquerait même pas puisqu’elle avait consenti une annulation de crédits de grande ampleur pour effacer les dettes des années antérieures. Cette année, sans la rebudgétisation de la taxe affectée au Centre des monuments nationaux, le budget culture, qui ne croîtra que de 0,25 %, moins que l’inflation, sera donc en baisse ! Ayons l’honnêteté de dire, pour ne pas se les voir opposer comme autant de preuves de mauvaise foi, que certains grands travaux (comme le grand auditorium de la Villette) ou projets (comme la bibliothèque numérique) seront poursuivis.

Mais pour le reste, c’est au mieux la stagnation et bien souvent le recul. Stricte reconduction des crédits de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ou de l’architecture, stagnation des crédits de soutien à la création ou au spectacle vivant, alors que la ministre parle de «consolidation» ! Stagnation encore des aides aux industries culturelles. Baisse, cette fois, des crédits aux établissements d’enseignements culturels spécialisés, amputés de 2 millions d’euros, alors qu’ils sont décentralisés ! L’Etat est passé maître dans l’art de transférer des charges. Hécatombe enfin des actions en faveur de la démocratisation culturelle. Douze millions d’euros de crédits disparaissent d’un coup en 2008 : sacrifiés la diversification des publics, les contrats de ville, les zones rurales, l’action culturelle dans les cités, et tout cela en faisant miroiter la gratuité des musées.

Les directions régionales aux affaires culturelles (Drac) annoncent une «mise en réserve» de 6,5 % des crédits pour 2008, qui de leur propre aveu se transformera en une annulation pure et simple. Pour la région Rhône-Alpes, la coupe devrait ainsi être de près de 2,4 millions d’euros, soit l’équivalent des moyens annuels cumulés des scènes nationales d’Annecy et de Chambéry, ou encore de la moitié de la somme consacrée par la région aux compagnies.

Quant aux artistes et aux techniciens, déjà fragilisés par la réforme de l’intermittence, c’est pour eux quinze mille jours de travail en moins.

Les régions se sont engagées depuis 2004 dans une politique culturelle volontariste. Cette politique, élaborée dans la concertation, porte en elle une dynamique et une façon de faire différentes, partant de la réalité des territoires et des projets portés par des acteurs généreusement engagés. Elle est différente parce qu’elle accorde une large part à la notion d’emploi culturel, à la diversité des publics et des disciplines, à l’émergence de nouvelles générations d’artistes et à la prise en compte de besoins culturels nouveaux. Différente parce que fondée sur la confiance et le respect des engagements et sur une pratique de dialogue et de partenariat que l’Etat ne sait plus ou ne veut plus mettre en œuvre. Si dans les prochaines semaines le vent mauvais qui vient de la Rue de Valois se confirmait, ce serait un nouveau coup dur pour un secteur essentiel à la vie, au projet collectif et à l’économie de notre pays. Elus, artistes, publics, mobilisons-nous pour sauver l’avenir d’une très belle invention française : la politique culturelle.

Source : Libération en date du vendredi 30 novembre 2007. Najat Belkacem est Conseillère régionale de Rhône-Alpes en charge de la culture et membre du Conseil national du Parti socialiste.

L'ART, RAISON DU POLITIQUE

Les nouvelles qui nous parviennent concernant le prochain budget de la culture pour l’année 2008 sont chaque jour plus préoccupantes. Comment ce ministère qui n’aura plus aucune marge de manœuvre pourra-t-il mener une quelconque politique digne de la France ? Au point que l’on peut se demander si un projet de démantèlement du ministère de la Culture ne serait pas à l’œuvre ?

Pour freiner les dépenses d’un Etat français supposé en faillite, l’une des hypothèses serait de réduire son périmètre d’intervention, et le ministère de la Culture ferait partie des maillons faibles. Tout un courant idéologique pourrait renforcer cette résolution, un courant qui associe par exemple dans une même détestation le théâtre public et le rôle de l’Etat à travers son ministère jugés trop lourds de sens et gaspilleurs d’argent public. Le théâtre et tous les arts publics comme le ministère de la Culture sont en butte à des attaques répétées tantôt au nom de la modernité libérale, tantôt contre une prétendue violence symbolique que l’Etat exercerait sur l’art. C’est une inquiétante cécité qui frappe les observateurs issus du ministère de la Culture lui-même, qui semblent ne rien voir de l’explosion des arts vivants et de toute la nouvelle dynamique d’une décentralisation foisonnante qui a démultiplié les lieux de spectacles et les festivals de toutes sortes. Le gouvernement s’attaque donc à ses institutions par une réduction drastique des subventions qui va toucher leur budget artistique et donc entraîner la diminution des soutiens que ces mêmes institutions apportent aux artistes les plus indépendants et les plus fragiles. Par un inquiétant retournement, c’est l’Etat lui-même qui désaccrédite ses institutions qu’il a mission de pérenniser et qui désymbolise ses fonctions les plus essentielles, notamment la désignation d’un espace public pour tous susceptible de corriger les dérives du marché de la consommation culturelle. Le président de la République parle d’obligation de résultats. Mais ignore-t-il que le public est constitutif de notre travail ? Chaque jour, les directeurs comme les artistes sont confrontés au «résultat». Et quel acteur, danseur, musicien n’a pas connu des nuits blanches et des dépressions lorsque le public n’était pas au rendez-vous ? Une obligation de résultats signifierait-elle que la création artistique doit s’assujettir à l’audimat ou à une politique de rentabilité financière ? Paradoxalement les coupes budgétaires annoncées pour 2008, qui vont réduire les budgets de tous les lieux de spectacles de façon égalitaire, sont le démenti flagrant d’une prétendue politique du résultat. Qu’en sera-t-il pour tous ces nouveaux territoires de l’art qui ont pris les friches industrielles, la rue et tous les espaces urbains comme espace de représentation, eux qui fonctionnent la plupart du temps sur la gratuité ?

Certes les collectivités locales sont très présentes, mais le ministère de la Culture joue un rôle déterminant de désignation et d’impulsion, même pour les fabriques des arts urbains. Ces mêmes collectivités publiques se sont investies depuis longtemps, mais c’est à ce ministère qu’il appartient de redonner sens à la part «non rentable» de l’activité humaine, celle de l’art et de la culture, sans laquelle aucune société ne peut tenir debout, c’est là sa vraie "rentabilité" et son obligation de résultats. Le rôle du ministère de la Culture en France semble minime par ses moyens mais il est grand par sa force de symbole et cela depuis sa création par André Malraux. Il est aussi là pour nous rappeler que la politique est un art, peut-être le plus noble de tous, et pas seulement une affaire de gestion et de business. Le ministère de la Culture, c’est un peu l’âme d’un gouvernement, c’est à travers lui que va se lire l’attachement historique de notre pays aux arts, à la culture, à la mémoire, à la création et à son rayonnement à l’étranger. Il contribue à donner du sens à l’action de ceux qui nous gouvernent et aussi la hauteur de vue et la force visionnaire dont ils ont besoin. Les grands hommes d’Etat ont tous été des hommes de culture. De Gaulle, Pompidou, Mitterrand… Tous ont fait du ministère de la Culture le lieu emblématique de leur politique tant nationale que mondiale. Mais les élites, tant économiques que politiques, semblent aujourd’hui encore plus affectées par les phénomènes de déculturation que le reste de la population, la "people maladie" les a contaminées et a dégradé leurs relations avec l’art et la culture.

Le réel a changé, bouleversé par la révolution culturelle libérale avec ses inventions prodigieuses et aussi ses effets pervers. Elle entraîne des mutations psychiques et physiques déterminantes chez les individus et peut-être même des modifications anthropologiques. Il est grand temps d’évaluer ces mutations, ce qui meurt comme ce qui va naître, car tout ce qui dégrade la culture risque de nous rejeter un peu plus vers la grégarité d’un troupeau d’ego dont les besoins de consommation créés par le marché sont infinis. Ni les artistes ni les décideurs culturels n’attendent tout de l’Etat, de nombreux autres partenaires sont apparus (à l’exception du partenariat d’entreprise qui n’a pas progressé en France depuis dix ans !), mais supprimer le ministère de la Culture et ses délégations régionales serait une bien maigre économie (très en dessous du 1 % du budget de l’Etat) pour de bien grands dégâts.

Source : Libération en date du vendredi 30 novembre 2007. Article de Jacques Blanc, Directeur du Quartz, scène nationale de Brest.


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