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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
19 décembre 2007

TOUT A COMMENCE PAR LE METRO, PAR ERIK ORSENNA

PS_RG_ERIK_ORSENNATout a commencé pour moi par le métro. J’habitais, tout petit, 185 rue de Vaugirard au coin du boulevard Pasteur, et je voyais sortir de terre, tout enfant, le métro qui allait devenir aérien. Je me suis dit mais qu’est ce qui se passe ? Il y a donc une ville sous la ville, il y a une ville à hauteur du sol et puis il y a une ville dans le ciel. Qu’est ce que c’est donc que cet énorme corps qu’est une ville ? Plus tard, j’ai pris ce métro, et à partir de Lecourbe jusqu’à Bir Hakeim je pouvais regarder, à droite et à gauche, la vie des gens avec une indiscrétion croissante à mesure que la curiosité de l’adolescence venait. C’est à ce moment là que j’ai appris des tas de petites scènes de la vie de mes contemporains les unes avouables, les autres moins avouables, j’ai fait ainsi mon éducation notamment sexuelle, et c’est grâce à ça je pense que passionné par la vie des autres j’ai voulu devenir romancier. Merci le métro, merci Paris.

Evidemment, je me suis promené partout. Comme il m’arrive de prendre les taxis, je discute, je négocie les itinéraires, on m’a dit "vous devriez avoir une plaque", je ne sais pas ce qu’on va faire avec le montant des plaques, Cher Bertrand, mais, enfin, c’est un autre problème que nous avons failli aborder à la commission Attali je n’en parlerai pas ce soir. Il se trouve que, pour essayer de vendre ma salade littéraire, je circule de libraire en libraire et de ville en ville. Donc je compare les villes et je vois qu’il y a des villes qui vont moyennement bien, il y a des villes qui vont mieux et il y a des villes qui vont pas du tout et puis je vois qu’il y a des villes qui stagnent et puis je vois qu’il y a des villes qui bougent. Et depuis 2001, j’ai vu à quel point Paris avait bougé. Je ne vais pas faire en peu de phrases le résumé de tout ce qui a été fait, mais ce qui me frappe le plus, c’est que Paris a tissé, Paris a grandi, s’est grandi, Paris a accueilli, Paris a créé et s’est créé.

Alors, ce qui me frappe dans une ville, c’est évidemment cet apprentissage permanent toujours remis en cause et toujours renouvelé de la diversité. "La diversité est le grand péril terrestre contre lequel nous devons lutter de toutes nos forces" c’est une citation de Victor Segalen et j’aimais tellement cette citation, "la diversité est un grand péril", que dans tous les discours subalternes, que pendant longtemps j’ai écrit pour François Mitterrand, que quelque soit le sujet je mettais cette citation. Mon patron de l’époque Christian Sauter me disait : "est ce bien le rapport ?". Je lui disais : "oui, par définition, la diversité est en rapport avec tout". Donc Bertrand m’a aidé, jour après jour, dans cette compréhension de la diversité alors que quelques années auparavant Christian m’avait humilié en condamnant ma passion pour la diversité. Je ne t’en veux pas, cher Christian, comme en plus tu m’as appris un peu d’économie, merci Christian. Qu’est ce qu’une ville ? C’est comme je viens de le dire, l’apprentissage de la diversité. Il se trouve que j’ai eu une mission passionnante il y a quelque temps pour Jacques Delors de réfléchir à ce que c’était que l’Europe ? Quel était au fond l’originalité de l’Europe dans le monde? Et bien, au fond, tous les autres critères ayant été abandonnés, c’était justement cette mise en oeuvre permanente, cette tentative de mettre en oeuvre de façon permanente cette diversité, et refuser la dualité, refuser qu’il y ait des ghettos, refuser qu’il y ait des sociétés qui se développent sans se parler et en s’écartant comme des plaques tectoniques le plus loin les unes des autres, c’était ça, sans arrêt essayer de tisser les liens. On l’a vu, par exemple, dans les fonds régionaux qui ont permis à des bouts de l’Europe qui étaient complètement abandonnés, comme l’Espagne, comme l’Irlande, comme la Grèce, de revenir dans notre concert commun. Et bien, c’est ça la ville : s’occuper de tous les quartiers sans oublier l’ensemble, s’occuper de tous les secteurs sans oublier l’ensemble, s’occuper des âges, de tous les âges sans oublier l’ensemble, s’occuper de toutes les catégories sociales sans en oublier aucune, mais toujours sans oublier l’ensemble, le détail et le tout, et puis évidemment l’international.

Alors, j’ai voyagé un certain nombre de fois avec Bertrand et notamment une première fois à Casablanca, où il y avait la réunion des maires des grandes villes francophones. Et là, j’ai été fier. J’ai été fier parce que j’ai vu tous ces maires de grandes villes très divers du monde entier, et ils se disaient tous "ça serait bien que Bertrand soit notre maire aussi". Mais Bertrand, il peut pas être le maire de tout le monde, on l’a, on le garde. Et alors, ce qui me frappe, c’est que pour être maire d’une grande ville, comme on est au fond celui qui met en oeuvre jour après jour cette diversité, il faut des qualités extraordinairement contradictoires, il faut un alliage extrêmement rare. Alors, vous avez vu la montée du cours des matières premières, alors je peux vous dire que le cours de l’alliage Delanoë grandi grandi grandi, et n’a pas fini de s’arrêter.

Alors, cher Bertrand, tu m’as fait l’honneur de me proposer de te rejoindre sur une liste. J’ai longtemps hésité. J’ai réfléchi. Pourquoi ai je dis oui? Parce que je voulais essayer de rendre la dette immense que je dois à Paris. Et évidemment s’il n’y avait pas la mer, la Bretagne mais s’il n’y avait pas la ville de Paris je ne serais pas écrivain. Franchement, je ne sais pas ce que je serais. Donc, je me suis dit le moment est venu, mais est ce que c’était bien en étant élu que je rendais le plus de service ? Parce que je connais les électeurs, vous êtes 363 jours là et vous êtes deux jours absents, ils vous disent : mais t’es jamais là. Alors, que moi faut être franc 150 jours je ne suis pas là, pour essayer de m’informer, de me renseigner, mais je ne suis pas là. Donc, je me dis, j’ai consulté mes classiques, j’ai plongé dans la littérature mondiale, et je me suis dit est ce que c’est vraiment bon pour Bertrand d’avoir dans son équipe un autre alliage où il y a 75 % tintin et 25 % tournesol, j’ai répondu non.

Cela ne veut pas dire que je mettrai toutes mes forces au service de Bertrand évidemment en février et en mars, mais bien après que j’essaierai de le renseigner sur tout ce qui se passe ailleurs, et ailleurs aussi dans sa ville, puisque je suis maintenant conseiller d’état, mais en disponibilité, donc rassurez vous je ne coûte rien aux contribuables que vous êtes. Donc je me promène, je regarde, je reviens car je suis un nomade, le nomade est celui qui revient. Alors, je voulais juste vous dire en conclusion avec émotion, que j’ai entendu François Mitterrand répéter, sans arrêt répéter, que si nous ne réussissions pas à créer la civilisation de la ville où habite la plupart des habitants du monde, et continuerons d’habiter dans une propension croissante. Si nous ne réussissons pas à créer cette civilisation, la planète va devenir invivable et comme j’aime le bonheur, et j’espère le vivre longtemps, je fais confiance à Bertrand pour participer parmi les premiers à créer cette civilisation. Merci.

Source : Discours d'Erik Orsenna, romancier, membre de l’Académie Française, prononcé le mercredi 19 décembre 2007 à la Salle Olympe de Gouges (75011), bertranddelanoe.net.

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