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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
14 janvier 2008

LE POUVOIR D'UN SEUL, PAR PAUL QUILES

Lorsqu’il était candidat, Nicolas Sarkozy se plaisait à affirmer que la question constitutionnelle était secondaire. Or le voici qui se lance dans une réforme apparemment urgente. On nous dit qu’il ne s’agit que d’une proposition de modernisation des institutions. Un examen sérieux du projet fait apparaître qu’il s’agit en fait de consolider et de développer la pratique personnelle du pouvoir dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est engagé depuis son élection.

Jusqu’ici, le Premier ministre et les ministres exécutaient, en période de coïncidence des majorités présidentielle et parlementaire, la politique sur laquelle le président de la République avait été élu. Mais celui-ci se réservait un rôle d’expression d’un intérêt national supérieur. Le Premier ministre, de son côté, conservait une marge d’autonomie dans la formulation détaillée des politiques. Son autorité sur les administrations confortait cette autonomie. Ce n’est qu’en cas de nécessité ou pour définir une ligne de conduite en matière internationale ou de défense que le Président intervenait directement en faisant jouer le poids de son autorité propre. Le Premier ministre avait, en outre, la tâche plus particulière de veiller à la cohésion de la majorité parlementaire.

C’est cette pratique que Nicolas Sarkozy remet en cause en accaparant la totalité du pouvoir exécutif. Non seulement il dicte aux ministres la conduite générale à tenir dans les différents domaines de l’action publique, mais il leur fait prendre telle ou telle mesure ponctuelle qu’il juge opportune. On comprend dès lors pourquoi il tient tant à ce que la Constitution lui donne, le plus rapidement possible, le pouvoir de s’adresser directement au Parlement. Cela conférerait une base juridique à sa pratique des institutions, qu’il pourrait développer par la suite sous de nouvelles formes. Le gouvernement, pourtant responsable devant l’Assemblée nationale, n’aurait plus qu’un rôle d’exécution et de mise en forme législative des annonces présidentielles.

La proposition retirant au Premier ministre la mission d’assumer devant le Parlement la responsabilité de la défense nationale est à cet égard révélatrice. En situation de coïncidence des majorités présidentielle et parlementaire, ce nouveau droit présidentiel ne peut mener qu’à l’abaissement du Parlement, puisque toute inflexion demandée dans la politique de l’exécutif apparaîtra comme une rébellion. En situation de cohabitation, le pouvoir d’intervention direct du président conduira inévitablement à des conflits graves avec l’Assemblée nationale. Le risque d’une crise de régime ne pourrait alors pas être exclu. Par ailleurs, dans tous les cas de figures, comment un président à ce point engagé dans l’action politique quotidienne et dans la direction de sa majorité parlementaire pourrait-il en cas de circonstances internationales graves, exprimer de manière crédible l’intérêt supérieur de la nation ?

L’un des paradoxes de la Constitution réside dans la concentration de pouvoirs majeurs entre les mains d’une autorité irresponsable. Le Parlement n’a en effet aucun moyen de contraindre le président de la République à rendre compte de son action, à la justifier et encore moins à démissionner. L’institution d’une procédure d’intervention du président devant le Parlement aggraverait cette situation déjà préoccupante. Le président déciderait seul du moment de son allocution. Il n’aurait à répondre à aucune interpellation. L’irresponsabilité du président a trouvé jusqu’ici une atténuation dans la responsabilité du gouvernement. Tant que ce dernier garde un rôle propre, agit en fonction d’un programme que l’Assemblée nationale a approuvé, les procédures habituelles du contrôle parlementaire gardent leur pertinence. Si en revanche le gouvernement perd toute autonomie politique, les débats parlementaires en présence des ministres s’apparentent à un théâtre d’ombres.

Quel pouvoir réel pour le Parlement ? On objectera que la réforme prévoit un ensemble de mesures destinées à renforcer les pouvoirs du Parlement. Certaines d’entre elles représenteraient un réel progrès si le travail parlementaire ne se limitait pas désormais à la transposition législative et réglementaire des choix préalables du président. Pour la majorité, il ne s’agira plus que d’un ajustement à la marge de textes écrits ailleurs et, pour l’opposition, d’interpellations et de critiques adressées à un gouvernement privé de toute capacité d’action autonome.

L’opinion et les médias se détourneront davantage encore des débats parlementaires. Quant aux parlementaires, ils concentreront leur attention sur des questions d’intérêt local, d’autant plus que le cumul des mandats continuera à être autorisé. Souvent des modifications en apparence simples de la Constitution ont conduit à une transformation profonde du fonctionnement des institutions : il en a été ainsi de l’élection du président de la République au suffrage universel, et récemment du quinquennat. Sous son apparence anodine, le pouvoir d’intervention directe du président de la République devant le Parlement ne manquera pas de provoquer, de la même façon, un changement fondamental des règles du jeu politique. La Ve République a apporté la stabilité politique au prix d’un regrettable effacement du Parlement, mais elle avait su partager le pouvoir exécutif pour le rendre moins écrasant. Il est à craindre que le projet de Nicolas Sarkozy ne conduise à faire sauter ce dernier rempart contre les dérives du pouvoir d’un seul.

Source : Libération en date du lundi 14 janvier 2008. Paul Quilès est ancien ministre et ancien député socialiste.

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