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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
23 janvier 2008

LUTTER CONTRE LA RECIDIVE SANS PIETINER LE DROIT, PAR ELISABETH GUIGOU

PS_NPS_11_ELISABETH_GUIGOUMes propos sur le projet de loi "rétention de sûreté" ont été gravement déformés par le président du groupe UMP sans doute pour remobiliser les députés de la majorité qui ne sont pas tous à l’aise avec ce projet. Ce que j’ai dit à l’Assemblée nationale : "Vous, madame la ministre, vous, monsieur le rapporteur, anciens magistrats, vous tournez le dos à Beccaria, nourri de la philosophie des Lumières, vous choisissez Lombroso et son "homme criminel". Or, vous le savez, c’est cette philosophie positiviste qui a conduit aux pires débordements de l’Allemagne nazie."

Le fait que les idées de Lombroso et des positivistes aient servi à justifier les dérives totalitaires est souligné par les traités de droit pénal. On peut lire, par exemple, dans le traité Desportes - Le Gunehec le Nouveau Droit pénal (pages 23 et 24) que pour le courant positiviste "le but du droit pénal n’est pas de punir une faute ou un acte grave, mais de protéger la société contre un homme objectivement dangereux, comme un corps malade doit se protéger des microbes. […] Aux peines classiques doivent se substituer des mesures de défense, ou mesures de sûreté d’une durée indéterminée, dont l’objet est de supprimer l’état dangereux de l’individu. […] L’enfer des camps nazis, ou du moins le chemin qui y menait, n’était-il pas pavé des bonnes intentions positivistes ?".

Les intentions du gouvernement, évidemment, ne sont pas d’aller vers ces débordements. Toutefois, ce projet de loi, parce qu’il tourne le dos à deux grands principes fondamentaux du droit depuis 1789, peut induire des dérives dangereuses.

Enfermer quelqu’un en prison par une décision judiciaire non pour un acte commis mais pour ce qu’il est et parce qu’on estime qu’il est susceptible de commettre un acte de délinquance bouleverse un principe fondamental du droit respecté depuis la fin de la lettre de cachet : une personne ne peut être incarcérée sur une suspicion de dangerosité, sur une présomption de culpabilité future éventuelle, mais seulement sur un acte commis et prouvé par la justice. Le gouvernement affirme que la rétention prévue par le projet de loi Dati est une mesure de sûreté. Ce n’est pas une mesure de sûreté. C’est une peine de prison rajoutée sans nouvel acte et sans nouveau jugement. Ce projet de loi tourne aussi le dos au principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus dure consacrée par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ce principe a toujours été respecté, sauf sous le régime de Vichy pour les lois antijuives. Un amendement introduit par le gouvernement prévoit en effet que la loi pourra s’appliquer aux délinquants sexuels déjà condamnés. La rétroactivité de la loi pénale est contraire à la Constitution ainsi qu’à toutes les conventions internationales que le Parlement et le peuple français ont ratifiées.

Ce texte est d’autant plus inacceptable que l’on peut lutter contre la récidive des délinquants sexuels sans remettre en cause les principes fondamentaux du droit. Trois lois ont mis en place un arsenal juridique qui serait efficace si les moyens nécessaires à son application étaient dégagés : la première loi, que j’ai fait voter en 1998, relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, la loi Perben 2 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité en 2004 et la loi Clément en 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

Ces lois ont prévu le suivi psychiatrique des condamnés à une longue peine dès le début de leur incarcération. Francis Evrard a-t-il été soigné en prison alors qu’il y a passé trente-deux ans ? Non ! Le service médico-psychologique régional du centre de détention de Caen où il a été détenu a fermé en juillet 2005 ses 12 lits par manque de psychiatres ! Pourquoi Francis Evrard n’a-t-il eu un rendez-vous avec le juge d’application des peines (JAP) que sept semaines après sa libération en juillet 2007 ? Parce qu’un JAP traite 750 dossiers ! Etait-il soumis à la surveillance judiciaire qui aurait dû l’obliger à se présenter régulièrement au commissariat ? Non ! Francis Evrard avait-il un bracelet électronique mobile qui aurait permis de le suivre dans ses déplacements ? Non ! Cela aurait évité que la justice perde sa trace, qu’il se déplace dans sept départements différents et qu’il récidive une nouvelle fois. Enfin, il y a l’hospitalisation d’office dans un hôpital psychiatrique, le temps nécessaire, d’un condamné libéré mais jugé dangereux, mesure prise par le préfet sur avis médical. Francis Evrard, qui avait déjà récidivé, a-t-il été hospitalisé d’office ? Non ! Les lois existant depuis dix ans pour lutter contre la récidive des délinquants sexuels n’ont donc pas été appliquées par manque de volonté et de moyens. J’ai demandé un bilan avant tout nouveau texte. Refus !

Le projet de loi Dati est destiné à masquer ce grave échec par une fuite en avant législative. Le débat parlementaire a d’ailleurs montré que l’escalade a commencé. Au départ, la rétention de sûreté ne devait s’appliquer qu’aux délinquants sexuels récidivistes sur mineurs. Les amendements de la majorité l’ont étendue à tous les délinquants pour tous les crimes commis sur les majeurs et les mineurs. Jusqu’où ira-t-on ?

Supposez que la loi Dati soit appliquée, que l’un de ces détenus estimé dangereux, enfermé dans un centre, finisse par sortir, sur décision de la commission créée par la loi, et puis qu’une fois sorti il récidive. Quelle solution restera-t-il ? Que dira-t-on aux gens à qui on a fait croire que cet enfermement carcéral était la seule solution ? Qu’y a-t-il d’autre après cette loi qui fait de l’enfermement à vie la solution au problème de la récidive ? La peine de mort ?

Source : Libération en date du mercredi 23 janvier 2008. Elisabeth Guigou est ancienne Garde des Sceaux et députée PS de Seine-Saint-Denis.

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