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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
7 février 2008

"MINORITY REPORT", PAR EMMANUELLE PERREUX

Dans son film d’anticipation Minority Report, Spielberg mettait en scène une brigade de police chargée d’arrêter les criminels avant qu’ils ne passent à l’acte. Pour accomplir leur mission, ces policiers du futur étaient aidés par des êtres surnaturels, les précogs, chargés de lire l’avenir et de débusquer les criminels potentiels. Ainsi la société du futur était-elle protégée de la violence, et le crime éradiqué. Mais un jour les précogs ont la vision du meurtre que va commettre le chef de cette brigade futuriste. Avant d’être arrêté par ses collègues, il s’enfuit pour tenter de démontrer qu’il n’a aucune intention de tuer. Comment démontrer que l’on est innocent d’un crime que l’on n’a pas encore commis ? C’est une preuve impossible, et le héros de Spielberg va vivre mille aventures avant de démontrer l’imposture dont il est victime.

Qu’en sera-t-il pour tous ceux concernés par la rétention de sûreté ? Le projet de loi prévoit l’enfermement après la peine de tous les criminels de sang qui seront considérés comme particulièrement dangereux. Cette particulière dangerosité n’est évidemment pas définie. Mais il sera demandé à deux médecins experts de la pronostiquer. Tels des précogs, ces experts auront le pouvoir de prédire l’avenir, en pronostiquant une dangerosité et donc un risque de récidive. Qui pourra contredire un tel pronostic ? Il est impossible de rapporter la preuve inverse d’un crime que l’on n’a pas commis. Le gouvernement s’apprête à adopter un dispositif sans précédent, sorte de machine infernale à enfermer des individus non pas pour ce qu’ils ont fait mais pour ce qu’ils pourraient faire. "Le premier des droits de l’homme est celui des victimes", dit souvent le président de la République, et tous ceux qui s’élèvent contre les lois, de plus en plus répressives et attentatoires à tous les principes qui fondent notre démocratie depuis 1789, ne sont que des irresponsables qui choisissent de défendre les criminels. Il ne s’agit pourtant pas de défendre le crime ou ceux qui le commettent, simplement de refuser une société qui considère que le droit et la liberté des uns s’arrêtent là où une victime potentielle apparaît. En Allemagne, où existe depuis 1933 une mesure comparable, 415 personnes sont aujourd’hui retenues au prétexte de leur potentielle dangerosité, la durée de ces enfermements s’allonge sans cesse, confirmant que ces centres de sûreté ont avant tout pour vocation d’éliminer plutôt que de réinsérer. Le débat sur la rétention de sûreté emprunte à la peine de mort les clivages qui ont pu opposer les abolitionnistes et les non-abolitionnistes. La rétention de sûreté, en tournant le dos à l’idée que l’homme peut s’amender, nous condamne tous à être catégorisé sans espoir de changement. Notre Minority Report à la française ne connaît pas de fin heureuse. Il annonce la mort sociale de ceux que nous rejetons.

Aujourd’hui les anciens criminels sont dans sa ligne de mire, qui peut prédire quelle catégorie sera concernée demain ?

Source : Libération en date du Jeudi 7 février 2008. Emmanuelle Perreux est Présidente du Syndicat de la Magistrature.

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