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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
6 mars 2008

NAITRE OU NE PAS ETRE FRANCAIS, PAR KRISTIAN FEIGELSON

Renouveler un passeport en France est devenu pour certains un parcours du combattant.

Certes bien différent de celui de mes grands-parents arrivés de Russie en Europe en 1930 après un cheminement de Petrograd à Berlin puis Anvers et Paris. Fuyant l’URSS stalinienne des années 30, ils étaient parvenus dans le pays des droits de l’homme. Ils survécurent grâce à de faux papiers puis sous une fausse identité pendant l’Occupation. Terrorisés en 1941 par les lois de Vichy qui les identifiaient comme "Juifs étrangers", ils échappèrent à la rafle du Vél d’Hiv de juillet 1942 et furent cachés jusqu’à la Libération grâce à l’aide de nombreux Français. Ils obtinrent la nationalité française dans l’après-guerre.

Né à Neuilly il y a plus de cinquante ans de parents nés eux-mêmes à l’étranger et naturalisés en 1946, suédois par ma mère, je me pensais à l’abri de devoir prouver ma nationalité dans un des pays de l’Union : ma famille, comme d’autres, avait payé son dû à l’intégration dans la société française. Cette situation inique à devoir prouver son identité, à la différence d’autres Français, me rappelait certaines dispositions du code 5 de la nationalité en URSS, où j’avais vécu dans les années 70 dans le cadre de mes recherches doctorales.

Renouveler un passeport demande maintenant dans nos cas de figure un parcours kafkaïen. Des textes du ministre de l’Intérieur du 30 décembre 2005, devenu depuis président de la République, ont abouti à un arrêté du 31 mars 2006 concernant un "nouveau passeport électronique". Un passeport européen certes mais soumis désormais aux mêmes normes biométriques que pour l’admission sur le sol américain. Français issus de parents mixtes, nous devons prouver maintenant auprès des autorités françaises notre filiation sur deux générations. Au nom d’une rationalisation administrative, d’une lutte voilée contre l’immigration ou d’une surenchère idéologique de l’UMP face au Front national, l’impétrant est obligé de fournir l’acte de naissance copie intégrale d’un des parents avec la mention de la nationalité française, prouvée à Nantes (instance de centralisation du ministère des Affaires étrangères), comme si la carte d’identité nationale ou l’ancien passeport n’étaient plus des preuves suffisantes de la nationalité ! L’administration demande aujourd’hui à une de mes sœurs de constituer un dossier volumineux de preuves écrites (certificat de mariage des parents, attestations diverses) pour obtenir d’ici à dix mois un certificat de nationalité qui lui permettra ensuite de renouveler son passeport français. Impossible dans ce contexte de voyager hors de l’Union. Nous songeons maintenant à demander la nationalité suédoise, comme nos autres frères et sœurs, pour échapper à ces tracasseries bureaucratiques.

A l’heure d’une Europe plus ouverte au XXIe siècle que celle des années 30, où l’idée de citoyenneté européenne semble avoir pris sens, les nouvelles méthodes (tests ADN, politique de quotas) du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement devraient commencer par intégrer les leçons du passé.

Source : Libération en date du Jeudi 6 mars 2008. Kristian Feigelson est sociologue à l’université de la Sorbonne nouvelle (Paris-III) et associé à l’EHESS.

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