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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
5 avril 2008

THOMAS PIKETTY : "LE GOUVERNEMENT NE PREPARE NI L'AVENIR, NI LE PRESENT DE LA FRANCE"

PS_NPS_11_THOMAS_PIKETTYUn budget 2008 fantaisiste, une croissance en baisse, une dette qui se creuse. La situation économique de la France est en berne. Les choix effectués par le gouvernement la détériorent sans répondre aux craintes profondes des citoyens, ni préparer l’avenir du pays. Entretien avec Thomas Piketty , Directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’École d’économie de Paris.

L’élaboration du budget pour l’année 2008 vous semble-t-elle fondée sur des hypothèses sincères ?

Les hypothèses retenues à l’époque, notamment en matière de croissance, étaient déjà très optimistes et le sont encore plus aujourd’hui. La croissance tournera vraisemblablement autour de 1,5%. En vérité, dans les six mois qui ont suivi l’adoption du paquet fiscal en juillet dernier, avant même que les effets de la crise internationale et financière se fassent sentir, les prévisions de croissance avaient baissé.

Mais, dès le départ, sans ce ralentissement de la croissance, les choix faits par le gouvernement repoussaient aux calendes grecques la réduction du déficit budgétaire. Le gouvernement a clairement fait le choix de gonfler ce déficit sans pour autant investir dans l’avenir, c’est-à-dire l’économie de la connaissance, la formation, la recherche et l’innovation.

De surcroît, les mesures censées provoquer un choc de croissance ont, au contraire, contribué à une perte de confiance des Français sur leur pouvoir d’achat. Personne n’avait jamais vu une détérioration aussi rapide de la confiance des ménages après une élection présidentielle !

Que peut-on prévoir en termes de dette publique ?

La dette va continuer d’augmenter dans les années qui viennent. Elle devrait s’approcher de 65% du PIB à l’horizon 2009-2010. Actuellement, cela signifie que chaque année, la France paye en intérêts de la dette l’équivalent du budget de l’Éducation nationale. Plus on laisse filer la dette, plus l’État se prive de marge de manœuvre pour la suite.

Si la dette n’atteignait pas un tel niveau, on pourrait financer les investissements dans l’avenir. Le problème ici est de pouvoir garantir la capacité de l’État à financer les dépenses publiques ou sociales dont ont besoin les citoyens.

Le gouvernement n’est tout simplement pas crédible d’un point de vue budgétaire.

La balance commerciale est dans le rouge. Entre 1997 et 2002, elle était pourtant excédentaire. Comment expliquer cette différence alors même que nos principaux voisins européens enregistrent des améliorations ?

Le contraste est assez saisissant. Cela montre notamment que nous avons un problème de mobilisation de l’épargne au service des PME. Elles ne grossissent pas suffisamment pour être exportatrices. Nous avons un capitalisme très concentré au niveau de quelques grands groupes, avec trop peu de renouvellement. C’est d’autant plus regrettable qu’en réalité, les Français épargnent beaucoup, surtout parce qu’ils ont très peur pour leur retraite, mais cette épargne n’est pas assez utilisée au service de l’investissement. On se retrouve donc dans cette situation paradoxale où l’on a énormément d’épargne, mais peu d’entreprises qui grossissent et exportent.

Le gouvernement ne cesse de s’enorgueillir de la baisse du chômage. Est-ce vraiment le fruit de la politique menée ces dernières années ?

La baisse du chômage n’est pas liée à la politique du gouvernement. Elle s’explique sans doute en partie par l’enrichissement de la croissance en emplois engendré par les baisses de cotisations patronales sur les bas salaires mises en place par les gouvernements successifs depuis 15 ans. Mais elle vient aussi d’un facteur structurel : des départs à la retraite massifs. Le calcul est très simple : 1945-1950 + 60-65 ans = 2005-2015. Les générations nées entre 1945 et 1950, qui représentaient 800 000 à 900 000 naissances par an, partent en retraite et quittent le marché de l’emploi actuellement. Ainsi, chaque année, au lieu d’avoir 500 000-600 000 personnes qui partent à la retraite, comme c’était le cas précédemment, on en a 200 à 300 000 de plus. La différence est énorme. Même si ces départs en retraite ne sont immédiatement remplacés par des emplois pour les jeunes, ils provoquent tout de même un appel d’air. Toutefois, ceci ne change rien au malaise des Français par rapport à l’avenir. Les craintes sur leur pouvoir d’achat, ou l’avenir de la protection sociale et des retraites, sont telles que cette diminution n’est pas de nature à les compenser.

Les socialistes proposent notamment de remettre à plat le paquet fiscal. Qu’en pensez-vous ?

Il est possible et souhaitable de supprimer toutes les mesures du paquet fiscal. D’autant plus que le chiffre annoncé d’un coût de 15 milliards d’euros en année pleine est largement sous-estimé. Par exemple, le chiffrage à 6 milliards des exonérations sur les heures sup se base sur le volume d’heures supplémentaires observé avant la mise en place de la mesure. Si elle fonctionne, comme le souhaite officiellement le gouvernement, ou plus certainement si les employeurs abusent du dispositif en payant des primes ou des augmentations de salaires sous forme d’heures supplémentaires, le coût ne fera qu’augmenter. Si l’on ajoute à cela le fait que les nouveaux abattements sur les successions et donations anticipées mettront du temps avant de produire tous leurs effets, on arrive très largement au-dessus de 20 milliards d’euros !

Sur ces considérations, comment qualifieriez-vous la situation économique française ?

Nous sommes dans un contexte où la France a des défis économiques énormes à relever. Elle doit faire toute sa place dans la mondialisation, devenir une économie de la connaissance et de haute qualification. Mais notre gouvernement ne prépare ni l’avenir ni le présent. Il laisse filer la dette et ne prend aucune mesure pour investir sur l’avenir.

Il peut essayer de repousser la dette encore plus loin. Mais, de toute façon, il sera obligé tôt ou tard de mettre en place un plan de rigueur. Ça passera donc par des hausses de la CRDS, de la CSG ou la TVA sociale.

Source : L'Hebdo des socialistes, n° 483, Samedi 5 avril 2008. Propos recueillis par Fanny Costes. 

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