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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
10 avril 2008

UN NEOLIBERALISME A LA MODE SARKOBERLUSCONIENNE, PAR PIERRE MUSSO

La France s’interroge sur le Président qu’elle a élu. Sa volonté de rupture avait séduit, désormais elle inquiète et devient une énigme. Qui est vraiment Nicolas Sarkozy ? Son image est-elle adéquate à la fonction présidentielle ?

Le doute s’installe sur le décalage entre un certain mode d’exercice du pouvoir et la solennité de la monarchie républicaine. Déjà le Président a entamé un "ajustement" du style Sarkozy trop clinquant. Mais un écart s’est créé entre les signes de la jouissance du souverain et le sérieux conféré à la symbolique présidentielle. Deux interprétations peuvent en être faites : soit l’écart est temporaire et tout reviendra "dans l’ordre" de ses prédécesseurs de la Ve République, soit il esquisse une refondation du politique.

La réponse à l’énigme Sarkozy peut-elle être trouvée de l’autre côté des Alpes, par comparaison avec le mystère Berlusconi qui ressurgit de façon périodique depuis la descente de celui-ci sur le terrain il y a quinze ans ? L’Italie voit en effet revenir Silvio Berlusconi au premier plan de la scène politique. L’originalité du Cavaliere continue d’intriguer. A l’occasion de l’actuelle campagne électorale, il multiplie les coups d’éclat pour focaliser le débat sur sa personne, allant jusqu’à déchirer publiquement le document programmatique de Walter Veltroni et à inviter une jeune salariée précaire à épouser un jeune homme riche comme son fils.

Dans un pays catholique, le cathodique Berlusconi reprend l’image christique de l’homme politique martyr et affirme que "gouverner c’est vraiment porter la croix". Cette fois-ci, il fait moins de promesses aux électeurs qu’en 2001, n’hésitant pas à parler de "sacrifices". Il se dit prêt, à l’instar de Nicolas Sarkozy, à pratiquer l’ouverture au centre-gauche pour réformer le pays. Car, au-dessus des Alpes, les expériences politiques se croisent et les démarches et le style de Sarkozy et de Berlusconi semblent s’informer et même s’imiter, à tel point qu’on peut parler d’un sarkoberlusconisme.

Ce phénomène ne peut être réduit à une théâtralisation captatrice des publics. Il apporte quelques innovations majeures au néolibéralisme. Il vise la transformation de l’Etat-Providence en Etat libéral, voire en "Etat-Pénitence", selon un mot de Pierre-André Taguieff, débarrassé de sa gangue assurantielle et culturelle. Non seulement le sarkoberlusconisme trouve son sens dans l’antiétatisme et la célébration de l’entreprise, mais il prétend construire un "capitalisme spiritualisé" (Berlusconi) ou "moralisé" (Sarkozy).

L’enjeu de ce réinvestissement symbolique du capitalisme est de désencastrer toutes les formes d’étatisme héritées de l’Etat-Providence, dans la foulée de l’échec du socialisme d’Etat et des partis qui le soutenaient. C’est pourquoi il tient un discours "révolutionnaire" et de "rupture". Ce n’est pas le système social qui est en jeu, mais le rôle et la place de l’Etat à l’intérieur du capitalisme dont il s’agit d’assurer la pérennité et le renouvellement dans le contexte post-1989.

Parallèlement, le sarkoberlusconisme célèbre le travail car il permet de déporter la citoyenneté dans la sphère de l’entreprise, le citoyen étant ainsi considéré comme un travailleur et un consommateur. Il cultive ainsi le "faire" et le "croire" contre le "dire" renvoyé à la vieille façon de faire de la politique. Ce culte du travail et de l’entreprise porte la promesse de success stories, à l’instar du parcours des présidents Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi.

Là est le nœud gordien du dispositif symbolique du sarkoberlusconisme. Là est son problème, comment concilier l’éthique catholique ascétique et le nouvel esprit du capitalisme hédoniste ?

Réponse : par collage et simple juxtaposition, par bricolage de signes et syncrétisme œcuménique combinant la morale catholique avec l’éthique protestante à l’anglo-saxonne. L’enjeu est de faire évoluer le modèle latin de capitalisme vers son référent nord-américain. Telle est sa force et peut-être son talon d’Achille, comme le montre le détachement du MoDem de François Bayrou en France ou celui du parti de l’Union du centre (UDC) de Pier Ferdinando Casini en Italie.

Ainsi le sarkoberlusconisme est-il un américanisme latinisé, plastique, capable de s’adapter à des réalités nationales différentes. Il marque à la fois le rassemblement des droites et le maniement expert de technologies de gouvernement empruntées à la télévision, au marketing et au management.

Ce nouveau modèle politique libéral euro-méditerranéen, de type bonapartiste, combine la révérence à la catholicité et la référence à l’entreprise. Il additionne tous les signes et symboles disponibles afin de colmater les brèches de la représentation politique en crise.

Tout est "néo" dans la démarche sarkoberlusconienne, d’où son obsession à effacer toute trace de vieillissement chez Berlusconi ou d’assoupissement chez Sarkozy. La "contre-révolution libérale" associée à la chute du Mur de Berlin trouve dans le sarkoberlusconisme une figure symbolique originale pour désétatiser l’Etat et pour déréguler le politique de l’intérieur. Il s’agit d’une politique conservatrice, mais "anti" et "néo".

Source : Libération en date du Jeudi 10 avril 2008. Pierre Musso est Professeur de Science de l'information et de la communication à l'Université de Rennes II et Chercheur associé au Centre de recherches et d'études sur la décision administrative et politique (CREDAP, Paris I).

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