Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
16 avril 2008

LA NUIT DES ARCHIVES, PAR VINCENT DUCLERT

Une inquiétude très vive a saisi la communauté des historiens après l'adoption par le Sénat, le 8 janvier 2008, d'un projet de loi sur les archives qui sera soumis au vote des députés le 29 avril. Au-delà d'une discussion qui semble ne concerner que les spécialistes, une telle loi menacerait la recherche en histoire et la liberté des citoyens. Loin d'être seulement de vieux papiers d'Etat, les archives publiques demeurent au centre de la cité et participent pleinement de la démocratie.

Dans une Adresse aux parlementaires, l'Association des usagers des Archives nationales a relevé cinq dispositions inquiétantes, susceptibles de paralyser la recherche historique contemporaine et de restreindre "de façon arbitraire le droit d'accès des citoyens aux archives publiques contemporaines" : la création d'une catégorie d'archives incommunicables, au nom de la sécurité nationale ou de la sécurité des personnes, mais qui contredit le principe rendant les archives publiques communicables de plein droit ; l'instauration d'un nouveau délai de non-communicabilité d'archives pendant soixante-quinze ans, ce qui allonge de quinze ans le délai interdisant (sauf dérogation) l'accès à toute une série d'archives sensibles dont certaines sont aujourd'hui librement communicables ; une aggravation des conditions permettant aux chercheurs d'utiliser des documents obtenus par dérogation.

L'accélération du processus de privatisation des archives publiques émanant des chefs d'Etat, des ministres et de leurs collaborateurs, ceux-ci obtenant une forme de droit sur des documents qui ont été produits dans l'exercice de leurs fonctions ; enfin, un culte du secret visible jusque dans la rhétorique du projet et qui apparaît de fait comme une justification d'un projet résolument obscurantiste.

L'obscurité risque de tomber sur la recherche scientifique, les chercheurs se voyant entraver dans leur accès aux sources politiques (même si certains délais de communicabilité seraient réduits) et menacer si leurs travaux portent "une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger". Cet étouffement serait d'autant plus dramatique que les historiens ont prouvé que la recherche était le moyen essentiel de la sortie par le haut, dans l'honneur et la connaissance, des crises de mémoire. Un tel projet conforte le rejet de l'histoire critique sous la dénonciation par Nicolas Sarkozy de la "repentance". Pour faire cesser cette "mode exécrable" (9 mars 2007), le plus simple est donc de fermer les sources de la critique !

Au coeur des critères de la démocratie

L'obscurité recouvrira aussi l'Etat tenté de s'abstraire de sa mission de servir l'intérêt général et les libertés publiques. Ce projet de loi, défendu par le précédent ministre de la culture, traduit un processus de renforcement des logiques administratives visant au contrôle des archives par les institutions qui les ont produites. Cette forme de privatisation du bien commun a affecté jusqu'au Conseil constitutionnel décidant pour ses propres archives de sortir du cadre de la loi (27 juin 2001). L'administration des archives a laissé faire, encouragée en cela par les différents gouvernements à l'exception de celui de Lionel Jospin, qui a réaffirmé à trois reprises le devoir de l'Etat de verser aux fins de communiquer, en conformité avec la loi de 1979 aujourd'hui vidée de son esprit libéral.

L'obscurité touche enfin les droits fondamentaux. Guy Braibant, dans son rapport sur les archives en France remis au premier ministre en 1996, soulignait que la loi de 1979 s'est fondée sur l'article 34 de la Constitution, qui réserve à la loi le pouvoir de fixer "les droits civiques et les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques". Les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 avaient pour leur part anticipé la dimension fondamentale des archives : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration" (art. 15).

La question des archives figure désormais au nombre des critères de démocratie, comme l'indépendance de la justice ou la liberté de la presse. Le Conseil de l'Europe ou les institutions fédérales américaines reconnaissent ce principe, qui est aujourd'hui nié par le projet de loi, synonyme de régression nationale : la France n'a-t-elle pas été dans le passé une nation de référence pour les politiques publiques d'archives et l'existence d'une administration scientifique, juridique et technique (laquelle sera supprimée prochainement) ?

Soucieux de bien agir, l'ancien directeur des archives Philippe Bélaval avait proposé en 1998 que les archives soient "au centre de la cité". Le projet de loi les place au dehors. Citoyens, historiens, archivistes, juristes doivent se mobiliser pour construire un pouvoir des archives, indépendant et exemplaire, au service de la démocratie.

Source : Le Monde en date du mercredi 16 avril 2008. Vincent Duclert est historien, professeur agrégé à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. 

Publicité
Commentaires
UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
Publicité
Newsletter
Publicité