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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
27 mai 2008

MELI-MELO CONSTITUTIONNEL, PAR FLORENCE CHALTIEL

Des Grecs jadis demandaient au sage Solon : "Quelle est la meilleure Constitution ?" Il répondait "Dites-moi d’abord pour quel peuple et à quelle époque." On pourrait compléter cette sagesse par la nécessaire lisibilité du texte. Alors que le peuple français aspire à davantage de démocratie, le projet de révision constitutionnelle ne répond que partiellement à l’exigence. Pire, il est un ensemble hétéroclite, facteur d’incompréhensions. L’impression est renforcée par l’énigmatique ajout inopiné de l’équilibre budgétaire. Celui-ci est déjà un principe du droit, son ajout n’est que manière de donner des pseudo-gages à l’Europe. Adopté en Conseil des ministres, le projet de loi constitutionnelle est examiné par le Parlement qui votera - ou non - le texte en Congrès en juillet. La majorité comme l’opposition hésitent, multipliant amendements et menaces de rejet. Si tout n’est pas à rejeter dans le projet, il donne une fâcheuse impression de méli-mélo. Il importe de démêler l’essentiel de l’accessoire, voire l’anecdotique, et les avancées en trompe-l’œil.

L’essentiel est annoncé de longue date. La revalorisation nécessaire du Parlement et le renforcement de l’Etat de droit. Si plusieurs dispositions vont dans le bon sens, certaines sont pernicieuses malgré les apparences. Le texte corrige des excès du parlementarisme rationalisé de 1958. Ainsi des commissions permanentes portées de six à huit, ou encore de la capacité donnée au Parlement de voter des résolutions et son droit de recevoir tous les documents européens. Les présidents de chaque assemblée pourront opposer l’irrecevabilité d’un amendement. Le Parlement devient compétent pour voter toute loi de programmation, y compris de nature militaire.

Les deux avancées majeures concernent l’ordre du jour et un article décrié mais utilisé, "le 49-3".

L’ordre du jour sera aussi fixé par les assemblées et non plus essentiellement par le gouvernement. On ne pourra bientôt plus dire que 90 % des lois sont gouvernementales, même si le système majoritaire est une garantie pour le gouvernement.

Quant à l’article 49-3, dont les travaux menés par le doyen Georges Vedel à la demande de François Mitterrand proposaient déjà la limitation, il ne pourra plus être utilisé que pour les lois de finances, lois de financement de la Sécurité sociale et "un autre texte" par session. La capacité donnée au Premier ministre d’engager sa responsabilité sur une loi, ligotant toute discussion parlementaire, sera donc presque impossible. C’est une avancée majeure, même si certains Premiers ministres, tels Lionel Jospin, n’avaient pas usé de cette arme.

Des éléments, en apparence favorables, sont en réalité contestables. Garder au chaud le siège d’un parlementaire devenu ministre est une faute constitutionnelle et démocratique. Devenir ministre, c’est servir la République. C’est aussi accepter la précarité de la fonction, eu égard à la responsabilité du gouvernement devant le Parlement. Imaginons que le second renverse le premier, le ministre renversé retrouverait son siège au Parlement. Drôle de responsabilité !

L’élément le plus pernicieux tient dans la capacité donnée au chef de l’Etat de se présenter devant les parlementaires. L’interdiction est ancienne, archaïque même. Elle remonte aux débuts de la IIIe République, de manière toute conjoncturelle, afin de limiter les pouvoirs d’Adolphe Thiers. De là date le "cérémonial chinois" consistant à faire lire des messages du chef de l’Etat devant les Assemblées, en lui en interdisant l’accès. La réforme proposée est cependant contraire au parlementarisme. Quel équilibre des pouvoirs exécutif et législatif quand le chef de l’Etat - qui dispose du droit de dissoudre l’Assemblée - peut venir s’exprimer devant les élus, sans que ceux-ci aient la moindre capacité de mise en cause de celui-là. L’équilibre instable du parlementarisme à la française, avec ses deux têtes exécutives, serait alors menacé. La déstabilisation se vérifie dans la suppression de la responsabilité du Premier ministre en matière de défense nationale. Le "domaine réservé" du Président est exagérément accru. Le Parlement sera certes informé des interventions des forces armées à l’étranger. Mais son autorisation ne sera requise qu’au terme de six mois d’intervention.

L’Etat de droit est renforcé grâce à des réformes demandées de longue date. La capacité donnée au citoyen de mettre en cause la constitutionnalité d’une loi mettra fin au splendide isolement français dans ce domaine. On peut cependant regretter quelques scories. Seul le juge de cassation pourra agir. Une disposition législative inconstitutionnelle sera abrogée de ce fait. Quid alors du reste de la loi ? Quelle normativité pour une loi partiellement abrogée ?

Enfin, il aurait été plus lisible d’aligner le régime de la loi inconstitutionnelle sur celui de la loi contraire au traité. La première ne pourra être écartée qu’au niveau de la cassation contrairement à la seconde, alors que la Constitution est supérieure aux traités. En plus, dans le cas de la loi contraire à un traité, aucune abrogation n’est prévue. Une loi contraire à une norme supérieure, traité ou Constitution, devrait être abrogée. Dans le sens de l’Etat de droit, l’encadrement des pouvoirs de nomination du chef de l’Etat mérite d’être cité. Enfin, issu d’un amendement parlementaire, le référendum d’initiative populaire renforce la possibilité de démocratie directe.

En somme, des avancées existent dans le projet, mais elles méritent précisions et corrections. L’impact du projet est brouillé par quelques dispositions accessoires ou anecdotiques. Ainsi des nombreuses références, éparses et floues, aux "droits particuliers" aux partis qui n’ont pas déclaré soutenir le gouvernement. On ne sait ni ce que peuvent être ces droits ainsi formulés, ni comment définir précisément l’opposition. Dans un autre domaine, on voit mal l’intérêt d’une saisine du Conseil économique et social par voie de pétition de citoyens, sachant que le premier ne dispose d’aucun pouvoir normatif et qu’il est largement inconnu des seconds. Une autre fausse bonne idée démocratique réside dans la création d’un Défenseur des citoyens, dont on ne voit pas la différence avec l’actuel médiateur de la République, si ce n’est une inscription dans la Constitution au lieu de la loi.

On l’aura compris, le projet mérite d’être recentré sur la revalorisation attendue du Parlement, allégé des dispositions inutiles, débarrassé des dispositions pernicieuses. Le peuple français, exclu du processus de révision - le référendum est soigneusement ignoré - mérite au moins que le principe constitutionnel d’intelligibilité de la loi soit respecté. En l’état, ce projet ne le fait pas.

Source : Libération en date du Mardi 27 mai 2008. Florence Chaltiel est Professeure de droit public à l’IEP de Grenoble et l'auteur de Quelle Europe après le traité de Lisbonne aux Editions Lextenso-Bruylant.

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