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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
29 mai 2007

LE PS SE DELITE. QUE FAIRE ?, PAR LOUIS GAUTIER

LOUIS_GAUTIERCe n'est pas parce que Nicolas Sarkozy et ses ministres font preuve d'une agitation frénétique avant les législatives que la droite incarne le camp du mouvement. Ce n'est pas parce que la gauche est "KO debout" depuis l'élection présidentielle qu'elle est devenue le camp du vide. Le Parti socialiste, qui est l'épine dorsale de la gauche française, doit se ressaisir, vite. Il est clair qu'il doit changer de base et de direction. Il aurait tort de faire table rase de son passé, de ses combats et de ses principes : pour un parti comme pour un individu, pas de passeport sans identité !

Le 6 mai ouvre une nouvelle ère de la vie politique française. Outre la participation record à ce scrutin, Nicolas Sarkozy a battu Ségolène Royal sur un résultat net. La gauche se voit ravir une victoire qui lui était promise. C'est la troisième fois d'affilée que la gauche perd une élection présidentielle. C'est aussi la première fois depuis 1974 qu'un scrutin national, présidentiel ou législatif, ne débouche pas sur une alternance. Le cycle entamé par l'accession au pouvoir de François Mitterrand le 10 mai 1981 est clos.

En termes idéologiques et doctrinaux, la matrice politique du congrès d'Epinay est définitivement brisée. Déjà l'échec de Lionel Jospin le 21 avril 2002 révélait l'usure politique d'une gauche marquée par de longs passages au pouvoir. Mais la défaite de 2007 est d'une certaine façon plus grave, car la gauche ne perd pas seulement un combat politique, elle se délite sur quatre fronts :

- idéologique, avec la progression des idées et des valeurs de droite, voire de droite extrême, comme références dominantes du débat intellectuel ;

- électoral, car une partie des électeurs de gauche, ayant migré au Front national ou ayant flotté pendant une décennie, se retrouvent avoir voté pour Nicolas Sarkozy et une autre partie d'entre eux se sont laissé séduire au premier tour par les sirènes centristes de François Bayrou ;

- politique, puisque le centre remplace désormais les extrêmes comme élément de perturbation et, possiblement, d'arbitrage du conflit droite-gauche. Ce centre, électoralement consistant et politiquement introuvable, est pour le PS un miroir aux alouettes.

- programmatique enfin : le projet socialiste était un travail de synthèse médiocre et le pacte présidentiel un catalogue approximatif. Non seulement les socialistes ont été incapables, en cinq ans d'opposition, de tracer des lignes claires, de bâtir un programme cohérent, mais les embardées de la campagne électorale ont affecté leur crédibilité.

Nous, socialistes, avons perdu la bataille des idées, mais nous avons aussi perdu sur le terrain du savoir-faire politique. Le PS, qui avait eu tant de mal depuis 1981 à imposer dans les rangs de la gauche une culture de gouvernement et à affirmer dans l'opinion l'image de l'efficacité, s'est, tout seul, tiré une balle dans le pied.

Pour comprendre les causes de cet affaissement, il faut d'abord porter un regard lucide sur l'état de la gauche, sur les dysfonctionnements du Parti socialiste, sur les errements stratégiques et programmatiques de la campagne électorale. A cet égard, l'échec de Ségolène Royal lui est en partie imputable, mais convenons de bonne foi que personne d'autre à sa place n'aurait pu mieux faire. Sa défaite est en effet d'abord la conséquence des conditions politiques qui ont rendu sa candidature possible : un parti acéphale, des leaders en embuscade attendant chacun son heure mais refusant l'obstacle le moment venu.

Laurent Fabius ne force pas son destin au congrès de Dijon en 2003, François Hollande ne force pas sa nature après le référendum interne de 2004, Dominique Strauss-Kahn ne force pas le jeu au Mans en 2005. Les primaires étaient jouées d'avance : les militants en avaient assez des querelles stérilisantes et de la marche entravée des "éléphants". Mais les primaires ont eu des effets mortifères, car toutes ces disputes ont contaminé la campagne de notre candidate.

Toutefois, ce diagnostic ne permet pas à lui seul de comprendre un phénomène dont les causes profondes sont à rechercher dans l'inadéquation ou la banalité des propositions socialistes. Faute d'un travail en profondeur sur leur corpus idéologique, les socialistes croient s'adapter à la modernité en empruntant à l'air du temps de nouvelles références, au risque de dérives qui ne sont pas seulement terminologiques. Leur message est brouillé. La droite a bien compris comment accroître une confusion des repères qui nous est fatale. Elle célèbre nos héros, elle revendique cyniquement certains apports de la gauche jugés positifs, elle en agite d'autres comme repoussoir et parvient ainsi à fractionner le bloc et la continuité historiques de nos combats politiques.

Rien ne serait plus dangereux que de laisser ainsi s'emmêler le fil de notre histoire. Inventer un nouvel esprit du socialisme pour le XXIe siècle suppose un ressourcement et l'acceptation de fortes mutations doctrinales. La gauche autour du PS a besoin de se mieux définir. Le premier travail pour elle est d'abord identitaire.

Elle doit adapter son discours internationaliste à la réalité de la mondialisation. Il lui faut redéfinir le concept d'Europe politique et donc de nation. Elle doit proposer une organisation fluide de la société française. Le mouvement, plus que l'ordre, est la condition de réalisation de la justice sociale. Elle doit enfin réaffirmer sur le plan éthique et politique des valeurs qui procèdent de conceptions égalitaires, laïques, collectives, progressistes, attentives aux ingérences publiques ou privées dans la sphère des croyances et des comportements individuels.

Sur la sécurité, nous devons avoir un discours qui ne soit pas un simple décalque de celui tenu par la droite, l'indignation en plus en cas de bavure. Sur le travail, nous ne devons pas ignorer que la redistribution implique la création préalable de richesses, mais "enrichissez-vous" n'est pour nous ni une philosophie ni le baromètre de la réussite.

A l'heure où le nouveau régime s'invite au Fouquet's, face à l'argent, pas de complexe, mais surtout pas d'indécence. Les responsables politiques socialistes, tous nos élus, doivent être irréprochables. L'Etat, en matière de libertés publiques, avant d'être prescripteur, doit d'abord être protecteur : défendre, dans les faits, la liberté d'expression, la pluralité de la presse, l'indépendance des médias, le droit des plus faibles, à commencer par leur droit d'usagers des services publics et de consommateurs mis à mal par une marchandisation outrancière de notre société.

Le PS doit procéder à une clarification idéologique du modèle de société qu'il cherche à promouvoir. Pour y parvenir, il ne sert à rien de convoquer les intellectuels et les experts en figurants à la veille d'échéances électorales, il faut leur redonner parole et responsabilités au sein du parti. Le PS doit renouveler son approche sociologique de l'électorat qu'il entend défendre et représenter. Il doit proposer des réponses programmatiques cohérentes avec ce modèle et avec les attentes de cet électorat. Il doit mettre en place une stratégie de reconquête du pouvoir en recomposant autour de lui une offre politique majoritaire.

Avant tout, au propre et au figuré, il faut dégager une direction claire à notre prochain congrès. Pas un candidat préfabriqué, pas un maire du palais intrigant, pas un fondé de pouvoir impuissant, car tous ces profils dessinent en creux le syndic de faillite de notre parti, mais un responsable capable de diriger et d'incarner un destin collectif.

Alors, seulement, le PS pourra à nouveau soutenir une promesse de changement démocratique.


Louis Gautier est délégué national du Parti socialiste aux Questions stratégiques et ancien conseiller auprès du Premier ministre Lionel Jospin (1997-2002) aux affaires stratégiques et de défense. Voir son site.

Source : Le Monde daté du 30 mai 2007.

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