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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
11 septembre 2007

XAVIER TIMBEAU : "ON GRILLE NOS CARTOUCHES POUR L'AVENIR"

XAVIER_TIMBEAUPour Xavier Timbeau, économiste à Sciences Po, le paquet fiscal répond avant tout à des promesses électorales idéologiques, au détriment de toute efficacité économique. Et le ralentissement annoncé de la croissance risque d’en accroître l’impact négatif sur les capacités d’investissement de l’État.

Le "paquet fiscal" de 15 milliards d’euros élaboré par le gouvernement va-t-il réellement profiter, avant tout, aux plus aisés ?

Il est clair qu’une grande partie des bénéficiaires de ce paquet fiscal est constituée des personnes les plus riches en France. C’est vrai notamment des mesures relatives à l’ISF et aux droits de succession, qui s’appliqueront aux patrimoines les plus importants, c’est-à-dire à 1 % des contribuables pour l’ISF et aux 15 % qui n’en étaient pas encore exonérés pour les droits de succession. Pour l’exonération des intérêts d’emprunts, le public est un peu différent. Il s’agit cependant des classes moyennes et moyennes supérieures, actives et disposant d’un revenu assez élevé pour prétendre accéder à la propriété. Les dispositions sur les heures supplémentaires, enfin, concernent les salariés dont le revenu ne dépasse pas deux fois le Smic. Il s’agit donc réellement de la classe moyenne. Mais là encore, on peut s’interroger sur l’équité du dispositif, dans la mesure où il exclut toute une frange de salariés dont le temps de travail a été annualisé et qui, de fait, ne bénéficieront pas des heures supplémentaires majorées. C’est aussi, d’une certaine façon, une « prime » aux organisations du travail très peu négociées.

Ce plan permettra-t-il une relance de la consommation ?

On peut en douter. L’exonération de l’ISF, comme l’instauration d’un bouclier fiscal, ne vont pas conduire leurs bénéficiaires à consommer plus. Il eut été plus efficace, pour relancer la consommation, de redonner du pouvoir d’achat aux bas salaires. Le bouclier fiscal à 50 %, la réforme de l’ISF et des droits de succession correspondent plus à la réalisation de promesses électorales qu’à des mesures économiquement efficaces. On s’est aperçu, au passage, que ces impôts que l’on disait peu rentables fiscalement représentent en réalité des sommes non négligeables pour les finances publiques.

Ces réformes auront-elles, néanmoins, des vertus macroéconomiques ?

L’efficacité de telles mesures, sur un plan économique, est discutable. Au lieu de favoriser l’activité économique, la création et l’innovation, en avantageant par exemple les start-up, en jouant sur les cotisations sociales, c’est-à-dire sur le coût du travail, on favorise au contraire des situations déjà établies. On récompense ceux qui ont déjà réussi. Il eut été plus pertinent d’investir cet argent dans l’éducation, la recherche publique ou encore le revenu de solidarité active. Ce choc fiscal risque, au final, de produire des effets telluriques assez limités…

Sauf peut-être pour les finances publiques…

Le plan de départ, pour financer sans douleur ce paquet fiscal, misait sur une accélération de la croissance. Mais la mauvaise nouvelle, c’est que cette croissance risque de ne pas être au rendez-vous. Outre le creusement du déficit, et donc de la dette, la mauvaise conjoncture, si elle se confirme, ne permettra pas de lier ce paquet fiscal à une potentielle efficacité économique, lui ôtant ainsi une certaine légitimité. Cette réforme fiscale obère également les marges de manœuvres budgétaires qui pourraient s’avérer indispensables en cas de ralentissement conjoncturel. D’une certaine façon, on "grille" nos cartouches pour l’avenir.

Les autres mesures qui, pour le coup, ne sont pas des cadeaux, comme le plancher fiscal (1) ou les franchises, peuvent- elles assurer le financement du paquet fiscal ? Les moins aisés vont-ils payer pour les plus riches ?

Il est encore trop tôt pour connaître précisément les catégories concernées par ces mesures. Tout dépendra, pour les franchises, des éventuelles exonérations en direction des revenus les plus faibles, et des tranches de revenus concernées par le plancher fiscal. Suivant ces exonérations, le public sollicité financièrement peut être très différent. Quoi qu’il en soit, ces mesures relèvent pour l’instant du symbolique au regard des sommes en jeu. On est très loin de pouvoir financer un paquet fiscal à quinze milliards d’euros. Tout au plus, le gouvernement réussira-t-il à mobiliser un milliard. Concernant le plancher fiscal, il aurait été plus juste de nettoyer un certain nombre de niches fiscales plutôt que d’instaurer un impôt plancher.

La croissance permettra-t-elle à elle seule d’améliorer la situation économique pour l’ensemble de la population ?

Au delà de la croissance, c’est surtout la façon dont on se positionne aujourd’hui par rapport à la mondialisation qui importe. Doit-on l’accepter sans réserve, la considérer comme la seule source de progrès, en atténuant légèrement ses effets les plus néfastes, ou au contraire considérer, comme l’avancent les altermondialistes, qu’elle génère plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions ? Ce débat n’est pas tranché. Mais ce qui est sûr, c’est que dans les pays en voie de développement qui sont actuellement au cœur de la mondialisation, seule une petite partie de la population profite de cette croissance. Leur modèle de développement économique génère de fortes inégalités, qui sont aussi à la base de leur croissance, et que l’on retrouve dans les pays anglo-saxons. Jusqu’à maintenant, la France, et plus largement l’Europe continentale, a plutôt bien résisté à ce mouvement. Elle a su préserver un modèle social redistributif et une protection sociale élevée. Mais la façon dont est aujourd’hui présenté ce débat est inquiétante. Poser d’emblée la question : "comment faire pour préserver notre modèle social ?", c’est le considérer, a priori, comme un boulet dans la compétition économique mondiale. Je ne suis pas sûr que l’on aborde ce débat de la bonne manière. Il y a dans sa présentation, notamment au sein de la commission présidée par Jacques Attali, des intentions pas forcément avouables.

La notion de pouvoir d’achat et sa mesure semblent également poser problème ?

Cette question rejoint celle de la croissance. Au-delà des indices de pouvoir d’achat, ce qui compte, c’est de pouvoir peser sur la réalité. Si la croissance, et par conséquence le pouvoir d’achat, ne profite qu’à une infime partie de la population, son intérêt est limité. Or on assiste aujourd’hui à une augmentation des inégalités de revenus dans le monde. Dans des pays comme les États-Unis, la Chine, l’Inde ou le Brésil, la frange la plus riche de la population atteint des niveaux de richesses semblables à ceux du début du XXe siècle. Le danger, pour la France et l’Europe continentale, serait de rejoindre ces modèles, alors que nous avons su, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, assurer une répartition plus juste des fruits de la croissance.

1. Le gouvernement projette de mettre en place une imposition minimum pour les contribuables qui déduisent de leur revenu imposable différentes exonérations votées par le Parlement au fil du temps : salaire de l’employée de maison ou de la nourrice, abattements pour travaux en faveur des économies d’énergie, dons aux œuvres, cotisations syndicales, etc.

Source : L'Hebdo des socialistes, n° 456, Samedi 08 septembre 2007. Propos recueillis par Luc Peillon. Xavier Timbeau est Directeur du département Analyse et prévision de l'Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE), centre de recherche en économie de Science Po.

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