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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
2 novembre 2007

TOUS PROPRIETAIRES ! UN SLOGAN SIMPLISTE

La sagesse commune demande pourquoi payer pour d'autres, quand on peut payer pour soi. La saine gestion des finances publiques inviterait aussi à confier la production immobilière aux emprunts des particuliers plutôt qu'aux emprunts publics, qui alourdissent la dette. Tout concorde. Et cela devait, entre autres, se traduire par la vente de 40 000 logements sociaux par an à leurs occupants. Mais la machine s'est grippée. Les organismes HLM et les élus locaux se sont rebiffés.

Un petit comparatif avec les voisins européens invite à la prudence : l'Espagne et le Royaume-Uni, qui connaissent les plus forts taux de propriétaires, ont connu la plus forte augmentation des prix de l'immobilier, qui, outre ses effets sociaux dévastateurs, prive l'économie réelle de ressources. L'Allemagne dispose du plus bas taux de propriétaires et a connu la plus forte stabilité des prix.

Et si la propriété ralentit la mobilité, l'adaptabilité aux besoins économiques mouvants, l'initiative individuelle tend aussi à produire du pavillonnaire, qui correspond certes aux aspirations de chacun, mais aboutit à des catastrophes collectives. En Espagne, en à peine cinq ans, la surface bâtie a augmenté de 30 %, la consommation d'eau par personne a augmenté de 5 % par an (lié au nettoyage de voiries, aux piscines, etc.) alors qu'il y a pénurie, et l'étalement urbain pose d'importants problèmes économiques et écologiques.

De fait, le Royaume-Uni et l'Espagne rament désormais pour sortir du tout-propriétaire. Le premier ministre britannique, Gordon Brown, vient ainsi d'annoncer la création de vingt villes nouvelles et une relance massive de la production de logements sociaux. Les différentes régions espagnoles oeuvrent dans le même temps pour un changement législatif pour réorienter les aides publiques vers la production de logement locatif social.

En France, le nombre de primo-accédants a augmenté d'un tiers entre 2000 et 2007. Vu l'évolution des loyers, tous les ménages qui le pouvaient ont acheté. L'extension de l'accession à de nouveaux foyers, plus modestes, donc avec des prêts plus longs, représente un risque beaucoup plus élevé. Déjà 625 000 personnes vivent dans des copropriétés dégradées en France, parce qu'elles n'ont pas les moyens de faire face à la fois au remboursement d'emprunt et aux frais d'entretien. Des accédants plus pauvres achetant un patrimoine plus onéreux auront du mal à faire beaucoup mieux.

Pour autant, faut-il se résoudre à ce que les moins fortunés offrent - par leurs loyers - leur domicile à leur bailleur ? Non. En Europe, il existe de multiples expériences d'acquisitions collectives sécurisées ou mutualisées, et de recomposition des attributs de la propriété. En France même, sans revenir à l'expérience des castors, il existe depuis 2006 le concept juridique de SCI d'accession progressive à la propriété, qui favorise un parcours sécurisé par un organisme HLM qui assure le portage initial. Il y a donc des formules à promouvoir par les collectivités locales et les opérateurs du logement, à mi-chemin de la location et de la propriété. Ils permettent à la fois aux habitants de se constituer une réserve de pouvoir d'achat en capitalisant une partie du loyer, avec des risques très circonscrits, et d'extraire assez d'immeubles du champ spéculatif.

Cette réflexion sur un troisième terme entre location et propriété sera facilitée par l'évolution du cadre réglementaire européen. La propriété n'est qu'un lien juridique entre une personne à une chose. Chaque histoire locale a qualifié différemment ce lien et la définition des droits attachés à la propriété varie d'un pays à l'autre. En Allemagne, les locataires disposent de prérogatives qui sont ici celles des propriétaires. L'encadrement des avantages y est aussi plus serré : il existe un taux légal du rendement locatif, dépasser un certain rendement est un délit. On trouve d'autres protections dans les pays nordiques et au Royaume-Uni.

En anglais, le terme de property, utilisé par les textes internationaux qui protègent le droit de propriété, renvoie à ce qui est propre aux individus : le domicile et le contrat de bail comprennent une dimension de propriété, ce qui est entériné par la Cour européenne des droits de l'homme : elle autorise les Etats à en requalifier les termes et avantages, à partir de leur conception de l'intérêt général. Si le domicile comprend une composante de propriété, nous sommes déjà tous propriétaires et la question est de déterminer les avantages qui y sont liés et l'encadrement par l'Etat de la relation entre les agents économiques impliqués.

Le vrai débat qu'occulte la question de la propriété est celui de la répartition des richesses et du degré de socialisation des risques sociaux, à travers le logement. Il faut l'ouvrir mais d'abord rejeter les slogans simplistes éculés et les conservatismes figés.

Source : Le Monde en date du Samedi 3 novembre 2007. Article de Noria Derdek et Marc Uhry pour la Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement.

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