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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
31 décembre 2007

SARKOZY FAIT ENTRER DIEU AU GOUVERNEMENT, PAR ANDRE GRJEBINE

Nicolas Sarkozy entend mettre Dieu à contribution pour s’attaquer à ce que Freud caractérisait comme le malaise d’une civilisation sans transcendance. Il compte sur la religion pour proposer des valeurs et une espérance à une nation désemparée. Il s’attaque ainsi au paradoxe de Dostoïevski : "Il n’y a rien de plus tentant pour l’homme que la liberté de sa conscience, mais rien de plus douloureux." Reste à savoir si ce paradoxe peut être surmonté sans renoncer à la société ouverte, à une société sans dogmes imposés par l’Etat, la religion ou le conformisme ambiant.

A cette préoccupation générale se superpose, semble-t-il, un dispositif plus spécifique commandé par la conception présidentielle des relations de la République avec l’islam. Dans un premier temps, comme il l’a esquissé dans l’ouvrage qu’il a consacré en 2004 aux questions religieuses, Sarkozy attend des dignitaires musulmans qu’ils proposent des valeurs "à tous ces jeunes qui ne croient plus en grand-chose", mais également qu’ils exercent un contrôle que l’Etat ne parvient plus à exercer dans les banlieues.

Le discours prononcé au Latran, à Rome, le 20 décembre annonce la deuxième phase du dispositif : revigorer notre héritage chrétien pour faire face à la montée en puissance de l’islamisme, forme conquérante de l’islam.

A première vue, le bien-fondé d’un tel pari paraît confirmé par l’exemple des Eglises évangélistes, qui sont parvenues à contrecarrer la progression de l’islam aux Etats-Unis, en Amérique latine ou dans certains pays africains.

En réitérant son plaidoyer pour la croyance, Nicolas Sarkozy, qu’il le veuille ou non, ébranle le principe de laïcité qui est au cœur de la République. Ce principe ne consiste pas à maintenir une balance égale entre toutes les religions, mais à interdire à l’Etat toute prise de position en matière religieuse, si ce n’est pour établir les règles du jeu et veiller à leur respect.

Il est vrai que dans d’autres démocraties, notamment aux Etats-Unis, les références religieuses sont fréquentes en politique. Mais, à l’heure où les fondamentalismes religieux ne cessent de progresser dans le monde et où l’obscurantisme gagne du terrain, un recul de l’Etat qui symbolise la laïcité moderne ne peut qu’être interprété comme un désaveu de tous ceux qui dans le monde se réfèrent à la France dans leur lutte contre l’emprise du religieux.

Comment ne pas être perplexe quand on entend notre président vanter la "contribution spirituelle et morale" de la France en se référant à des symboles de superstition et d’obscurantisme comme Bernadette de Lourdes ou Thérèse de Lisieux ? Selon Sarkozy, la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini.

Faut-il lui rappeler le long passé de violence des religions, une histoire qui est loin d’être achevée comme l’attestent les atteintes aux droits de l’homme et le terrorisme perpétrés par des islamistes ? Et que penser de cette étrange affirmation selon laquelle "l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie" ? Tout d’abord, il est probable que ceux qui ont une vocation religieuse n’ont pas le sentiment de "sacrifier" leur vie. En outre, ceux qui sont disposés à sacrifier leur vie ne sont-ils pas également ceux qui lui attachent peu de valeur, et sont de ce fait parfois plus enclins que d’autres à sacrifier la vie d’autrui ? A ce compte, faut-il admirer les terroristes qui poussent à l’extrême le sens du sacrifice ? Il serait vain de prétendre comparer le bonheur de l’homme en quête de certitudes et celui de l’homme qui cherche lui-même ses valeurs et ses raisons de vivre.

Mais est-il possible d’ignorer les résultats de la quête fiévreuse de certitudes qui s’empare parfois de certains hommes, de sociétés entières ? Combien d’entre eux seraient prêts à toutes les violences pour défendre la fiction qui les fait vivre ? Certes, au XXe siècle, des idéologies comme le communisme ou le nazisme ont surpassé en horreur tout ce que l’humanité avait connu jusqu’alors. Mais n’y a-t-il pas une autre voie ? L’homme qui accepte sa finitude tend à reconnaître une valeur unique à la vie humaine. Il découvre qu’il n’a pas d’autre devenir que celui de l’humanité. Il trouve alors son identité, non à travers une vie éternelle dont il ne saura jamais si elle lui est vraiment promise, mais à travers la pérennité de l’aventure humaine et la transmission entre les générations qui l’ont précédé et celles qui le suivront.

Ce rappel de notre héritage judéo-chrétien est de ce point de vue le bienvenu, à la fois comme un moment de notre trajectoire et comme un rappel des perversions que les religions engendrent parfois. N’incombe-t-il pas au président d’une République laïque d’expliciter l’horizon de la société ouverte plutôt que d’orchestrer un repli sur des communautarismes religieux ?

Nicolas Sarkozy espère préserver la civilisation européenne en renforçant les institutions et la foi chrétiennes. En réalité, l’alliance de facto des religions fait que toute mesure renforçant l’une tend à profiter à l’ensemble d’entre elles, et singulièrement à celle qui apparaît aujourd’hui comme la plus virulente.

Le cardinal patriarche de Venise, Angelo Scola, désigne clairement la menace, même s’il paraît s’en féliciter : "Il est acquis que la marginalisation de la religion dans la sphère sociale n’est pas acceptable pour les cultures non européennes… Le métissage de civilisations et de cultures rend obsolète la solution moderne du religieux et du politique." Alors que la société ouverte est menacée de toute part, serait-il concevable que le coup de poignard dans son dos vienne du pays qui en a été l’initiateur ?

Source : Libération en date du Lundi 31 décembre 2007. André Grjebine est Directeur de recherches au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences-Po et devrait publier en mars prochain La Guerre du doute et de la certitude. La démocratie face aux fanatismes aux éditions Berg international.


L'HISTOIRE REVUE ET CORRIGEE, PAR BERNARD GIRARD

"Un homme qui croit, c’est un homme qui espère. Et l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes à espérer." Dialectique typiquement sarkozienne qui peut être facilement renversée : un homme qui n’a pas la foi n’est pas forcément un désespéré, et la République n’a pas nécessairement besoin d’hommes de foi pour exister. Mais on peut se demander si cette controverse, finalement assez vaine, ne vient pas à point nommé pour dissimuler ce qui ressemble avant tout à un nouvel essai d’interprétation de l’histoire, de déformation du passé, de la part d’un président qui, notamment avec l’inénarrable discours de Dakar ou l’épisode Guy Môquet au lycée, semble s’en faire une spécialité.

"Les faits sont là", affirme-t-il sans hésitation après avoir évoqué le baptême de Clovis grâce auquel la France serait devenue "la fille aînée de l’Eglise". On n’aura pas la prétention de lui faire la leçon en précisant que la France n’existait pas au Ve siècle, Clovis se contentant modestement du titre de "roi des Francs", mais il est quand même permis de s’interroger sur ces fameuses "racines chrétiennes" de la France dans le discours de Latran, dont la proclamation sans nuances est incompatible avec la réalité historique. L’Eglise, à travers ses deux millénaires, n’a jamais été un bloc monolithique avec des croyances immuables et incontestées : l’Eglise de Vatican II n’est pas celle du Syllabus (1864), dressée contre le monde moderne, ou celle de la Contre-Réforme, arme de guerre contre le protestantisme. Et puisque Sarkozy se plaît tant à évoquer Bernard de Clairvaux, pourquoi ignore-t-il Abélard, pas moins croyant que le premier ?

Il y a quelque chose de scabreux dans l’exaltation par un chef d’Etat du passé religieux d’un pays, alors que les plus hautes autorités religieuses ont elles-mêmes reconnu les fautes passées de l’Eglise. L’Eglise s’est certes édifiée sur un certain nombre de valeurs, mais aussi contre les autres et avec la plus grande violence. Lorsque Sarkozy prétend que "la foi chrétienne a pénétré en profondeur la société française, sa culture, ses paysages, sa façon de vivre, son architecture, sa littérature", il omet de signaler que les plus belles œuvres de l’Eglise sont contemporaines de ses pires turpitudes. Le siècle de Vézelay est aussi celui des croisades, on brûlait les hérétiques alors que se construisaient les cathédrales gothiques, et les superbes motets et les Te Deum chantés à la chapelle royale ne font pas oublier les galères et les dragonnades de Louis XIV. Ce que l’historien Jacques Le Goff, qu’on aurait du mal à suspecter d’anticléricalisme, définit comme un "véritable racisme religieux".

Finalement, on retrouve dans les silences et les oublis du discours présidentiel quelque chose qui ressemble au refus de "repentance", c’est-à-dire tout simplement de voir le passé pour ce qu’il est.

Les "racines chrétiennes" de la France ne sont finalement qu’un nouvel avatar de la réécriture de l’histoire à laquelle Sarkozy s’est attelé. "Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale", dit-il encore dans son discours de Latran. Afin de ne pas déstabiliser une identité nationale elle-même bien hypothétique, on travestit alors l’histoire de la chrétienté, qui ne fut jamais un long fleuve tranquille, en un récit édifiant mais fictif, imaginaire.

En 967, le tout jeune Gerbert d’Aurillac franchissait les Pyrénées pour se rendre en Catalogne ; là, pendant trois ans, il se familiarisait avec la science et la culture arabes pour les intégrer à sa propre culture. Quelques années plus tard, Gerbert devient pape sous le nom de Sylvestre II, le pape de l’an mille. Cet épisode historique aura sans doute échappé à Sarkozy.

Source : Libération en date du lundi 31 décembre 2007. Bernard Girard est professeur d’histoire-géographie.

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