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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
10 janvier 2008

AUCUNE MESURE PASSIVE NE RESOUDRA LE PROBLEME DES DELINQUANTS SEXUELS

La ministre de la justice, Rachida Dati, a présenté à l'Assemblée nationale, mardi 8 janvier, son projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, qui prévoit d'enfermer des criminels dangereux dans des centres socio-médico-judiciaires à la fin de leur peine de prison.

Le gouvernement et les députés veulent étendre la portée de ce projet, qui visait au départ les pédophiles, à l'ensemble des condamnés pour crime qui seraient considérés comme toujours dangereux après avoir purgé leur peine. Le texte suscite de vives oppositions des milieux judiciaires et médicaux.

Le professeur Pierre Lamothe, psychiatre, chef de service du service médico-psychologique régional (SMPR) de Lyon, qui intervient dans les établissements pénitentiaires, conteste ce projet.

Que pensez-vous de la mesure de sûreté qui vise à garder enfermés des criminels dangereux après leur peine ?

Cette mesure me semble une réponse inadaptée pour répondre à une préoccupation légitime, celle de la défense sociale. Elle se base sur la gravité initiale de l'infraction, en l'occurrence essentiellement les crimes sexuels ayant entraîné une condamnation supérieure à quinze ans. Elle ne répondrait donc en rien aux cas des personnes, détenues ou non, qui ont montré une réelle dangerosité et qui ont défrayé la chronique ces dernières années, comme dans les cas de la tuerie de Nanterre ou du double meurtre de Pau.

Ce projet de loi est ainsi une nouvelle démonstration de la fascination de la société pour la délinquance sexuelle. Le pédophile, celui qui ose s'attaquer à l'enfant, qu'on a sacralisé, occupe aujourd'hui la place de la personne méprisable, à qui est déniée la qualité d'homme. Pour cette catégorie de condamnés, on a, en suivant l'imaginaire plus que la raison, façonné des traitements judiciaires d'exception. Dans la balance entre protection de la société et défense des libertés, le délinquant sexuel est ainsi systématiquement perdant, et du coup la société aussi.

Le gouvernement fait valoir l'intérêt des victimes. N'est-ce pas légitime ?

L'erreur des erreurs est de faire croire que la solution est dans la mise à l'écart du criminel dangereux. Cela aboutit à plusieurs impasses : d'une part, il y aura la tentation d'étendre toujours plus le nombre de personnes mises à l'écart, d'autre part, il y aura la tentation de continuer à les tenir enfermés indéfiniment par précaution.

A l'exact inverse, il faut faire en sorte de les accompagner au retour à la vie civile, qu'ils reviennent dans le camp des hommes. Il faut être très présent auprès d'eux et surtout ne pas leur faire peur. Plus on les stigmatise, plus on leur dit, "vous êtes différents de nous, vous êtes des monstres justifiant des mesures d'exception", plus on les pousse à s'exclure eux-mêmes et à ne pas évoluer.

Comment assurer un risque de récidive moindre des délinquants sexuels ?

Il faut d'abord renoncer au mythe du risque zéro, en cette matière comme dans les autres. Il ne peut y avoir élimination des pédophiles dangereux, comme on arracherait une mauvaise herbe jusqu'à éradication. Si, à l'issue de la peine, on a la conviction qu'une personne ne peut contrôler ses pulsions, il faut prononcer une mesure d'hospitalisation d'office en psychiatrie.

Pour le reste, il faut prendre le risque de la sortie des condamnés, mais de la meilleure façon qui soit, en s'assurant au maximum que les fins de peine sont aménagées. Il faut faire plutôt le contraire de ce que semble préconiser la garde des sceaux, Rachida Dati, qui affirme qu'il faut être de plus en plus circonspect et refuser tout aménagement de peine aux délinquants sexuels récidivistes. La libération conditionnelle devrait au contraire être systématique, simplement parce qu'elle est le meilleur outil pour rendre aux condamnés leur inévitable autonomie en minimisant les risques.

Quels types de soins fonctionnent avec les délinquants sexuels, et que penser de la "castration chimique" ?

Nous récusons ce terme de castration chimique, qui véhicule une idée de mutilation du délinquant sexuel comme s'il était puni par où il avait péché. Nous lui préférons le terme d'"aide au contrôle chimique des pulsions". Il faut le marteler : aucune mesure "passive" ne peut résoudre le problème du délinquant sexuel. Cela ne fait que le maintenir dans l'idée illusoire que la source de sa pulsion est extérieure à lui.

Ce qui est efficace, c'est de réconcilier le délinquant avec lui-même et avec sa vulnérabilité, en lui laissant toujours la possibilité de dialogue, dans la relation thérapeutique, même si c'est très difficile avec les pervers. La grande erreur, c'est de vouloir "terroriser les terroristes" en matière de délinquance sexuelle.

Source : Le Monde en date du jeudi 10 janvier 2008. Propos recueillis par Cécile Prieur.

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