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UN MONDE D'AVANCE- SECTION LEON BLUM
8 janvier 2008

LA NOVLANGUE DECHAINEE DU GOUVERNEMENT, PAR CHRISTIAN DELPORTE

"Putain", "connerie", "pognon", "mec", "vachement", "bosser"… Premières manifestations d’un syndrome de la Tourette ? Non, simplement les mots prononcés par le porte-parole du gouvernement, Laurent Wauquiez, en décembre dernier, dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel. Ce soir-là, M. Wauquiez avait aussi beaucoup de "machins" et surtout de "trucs" à dire. Si à l’aise devant les caméras qu’il en arrivait à tutoyer tous ceux qui l’entouraient. "Alors, on se tutoie ?" s’étonnait même Bruno Solo. Laurent Wauquiez, heureux dans son "job", rompt indéniablement avec le langage de l’ENA, dont il est issu.

Ce type de discours correspond même à une tendance au relâchement de l’expression qui s’affirme depuis quelques mois et verse parfois dans la grossièreté. Patrick Devedjian qualifie Anne-Marie Comparini de "salope". Fadela Amara juge la loi sur les tests ADN "dégueulasse". Henri Guaino répond à Bernard-Henri Lévy, qui l’avait traité de "raciste", par un lapidaire "petit con". Au plus haut niveau de l’Etat, on semble ne pas résister au langage de rue. Lorsqu’au Guilvinec, le 6 novembre dernier, Nicolas Sarkozy s’arrête et lance "Descends un peu l’dire ! Descends un peu…", il se place de facto au niveau de celui qui vient de l’insulter.

L’injure en République est aussi vieille que la République elle-même, et il faudrait être bien naïf pour penser que les hommes politiques d’autrefois ne succombaient jamais à l’usage du juron. Certes, mais au nom de la dignité de la fonction, on évitait que l’opinion publique en fût le témoin. De Gaulle, comme ses successeurs du reste, eut l’occasion d’entendre bien des noms d’oiseau lors de ses nombreux voyages en province. Mais le Général, comme pris d’une brusque surdité, poursuivait imperturbablement son chemin, au grand dam de l’auteur de l’insulte.

Le relâchement apparent du langage politique correspondrait, si l’on en croit les principaux intéressés, à la volonté de rompre avec la "langue de bois" pour mettre enfin à l’honneur le «franc parler» qu’attendent les Français. Parler "comme tout le monde" serait un gage de sincérité. Est-ce si sûr ? D’abord, il suffit d’écouter les "causeries au coin du feu" prononcées par Pierre Mendès France au milieu des années 50 pour comprendre que le "parler vrai", dont il fut l’initiateur, n’a rien à voir avec l’appauvrissement du langage, moins encore avec sa familiarité. Ensuite, le vocabulaire "tendance" n’a rien à envier à la sémantique "technocratique" dans l’art de proclamer des banalités pour cacher la réalité des choses. Il peut même y aider en créant une fausse proximité avec le public auquel est destiné le discours.

Car, au-delà de vrais dérapages, le "nouveau vocabulaire" des responsables publics relève d’une stratégie de communication habilement élaborée et fondée sur la connaissance aiguë de la composition de l’auditoire. Une preuve ? Retour, alors, sur M. Wauquiez. S’il vient chez Fogiel, c’est parce qu’il vise un public plutôt jeune et peu sensible à l’actualité politique. Dans un talk-show dont la réussite dépend du rythme et de la vivacité des échanges, le porte-parole du gouvernement parlera donc "branché". Mais la veille, il était sur France Inter, interviewé par des journalistes dans le cadre du franc parler. Et là, on avait entendu un langage bien différent. Les "mesures", les "idées", le "programme" n’étaient pas réduits à l’état de "truc" ou de "machin". Les Français n’étaient pas au "boulot" mais au "travail" pour gagner de l’"argent" et non du "pognon". Dans le studio, on se vouvoyait, ce qui ne semblait pas représenter un obstacle insurmontable au débat. Mais M. Wauquiez le savait, il s’adressait là à un public intéressé par la politique, dans une émission "sérieuse", impropre aux écarts de langage.

"Chacun des mots que j’utilise doit être bien dosé", avouait Laurent Wauquiez à Marc-Olivier Fogiel. On le croira aisément. Mais lorsqu’il affirme que, porte-parole du gouvernement, il n’a pris l’avis ni de Matignon ni de l’Elysée pour se rendre sur un plateau de télévision - contre tous les usages de la République ! -, il nous rappelle que la langue de bois n’est pas morte.

La société française souffre, on le sait, d’une crise démocratique profonde qui atteint le prestige de la fonction représentative et, plus généralement, de la chose publique. La confusion du langage qui s’installe sous nos yeux constitue-t-elle le meilleur moyen pour reconquérir le respect des citoyens ?

Source : Libération en date du Mardi 8 janvier 2008. Christian Delporte est Professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est l'auteur de La France dans les yeux. Une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, éditions Flammarion, 2007.

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